0 800 05 95 95, Collectif Féministe Contre le Viol.
7 juillet 2023 2023-09-21 11:110 800 05 95 95, Collectif Féministe Contre le Viol.
0 800 05 95 95, Collectif Féministe Contre le Viol.
0 800 05 95 95, Collectif Féministe Contre le Viol.
Elles écoutent. Ecoutent. Ecoutent. Puis expliquent. Expliquent. Expliquent. Ecoutent. Encouragent. 0 800 05 95 95 Ecoutent. Conseillent. 0 800 05 95 95. Ecoutent. Replacent les mots. Permettent les mots. Donnent des mots. Disent les mots. Ecoutent Croient. Accompagnent
Elles sont écoutantes au Collectif Féministe contre le viol, j’ai passé quelques heures avec elles et je ne suis plus la même. Je sais ce qu’est un viol. Je sais aussi que de nombreuses personnes ont été violées. Principalement des femmes. Je sais que cette violence est commune. Mais le savoir m’a été inutile ce jour-là.
Chaque coup de fil, un viol, une violence, une violentée, chaque coup de fil, silence mots, confession, honte, doute.
Chaque coup de fil mots doux contre mots impossibles, chaque coup de fil, une voix détresse calme, pleurs enfouis, hontes avalées et peur. Peur d’être coupable de ce qui a été vécu. Les écoutantes ne font pas qu’écouter, elles accompagnent. Par la seule force de leur voix elles amorcent avec les victimes un cheminement nécessaire et douloureux. Qui appelle ? Une femme. Une mère. Une fille. Un frère. Un mari. On appelle. Pour une autre. Pour soi. Parfois des femmes violées dans leur enfance appellent, la prescription a tué toute justice possible, le malheur et l’injustice reviennent comme un battement entêtant dans leur présent, elles n’ont pas été protégées, elles ont parfois essayé de parler. Des mains se sont collées sur leur bouche pour qu’elles se taisent à jamais. Mais là, elles téléphonent et elles parlent. C’est trop tard, mais ce n’est pas trop tard. Les écoutantes écoutent et conseillent.
Elise*
De diverses générations, soudées, elles sont une dizaine de femmes à écouter. C’est Elise qui m’accueille, elle a un profil de juriste, a travaillé 6 ans au 115, désormais elle répond au téléphone, fait des signalements à la police, complète des dossiers, écrit des études, rédige des documents d’information, organise des formations, accompagne les victimes de viol à leurs procès. En double écoute, je ne dis rien, j’écoute Elise, Josiane*, Emilie*, j’écoute avec elles. Ce matin-là deux appels changent mon regard, déconstruisent mes préjugés, mes repères.
J’apprends que violer est simple, facile.
Annabelle* est une jeune femme, elle a rencontré cet homme dans une soirée, échange de numéros, échange de textos pendant quatre semaines, premier rendez-vous. Viol.
Manon* a 16 ans, c’est sa mère qui appelle. Elle se rend à une fête locale avec sa meilleure amie et son meilleur ami majeurs. Ils s’absentent quelques minutes. La laisse en compagnie d’un homme, une connaissance. Il a 30 ans. Quand ils reviennent, Manon est nue, sans connaissance.
J’apprends que violer s’organise.
Là encore, je n’étais pas naïve à observer la manière dont on peut manipuler un être, pas naïve non plus à savoir qu’il n’est guère coûteux d’amener une personne à agir dans son intérêt, le monde et le commerce sont fondés sur cette possibilité. Mais j’étais loin de penser qu’il y avait un modus operandi.
L’agresseur A. possède une stratégie.
- A. sait cibler la victime dans un contexte qui la vulnérabilise.
- A. sait mettre en confiance.
- A. sait isoler sa victime et profiter d’une situation
- A. sait flatter/humilier pour briser la confiance en soi
- A. sait inverser la honte de se ses actes sur la victime
- A. sait créer la confusion sur les faits et les responsabilités
- A. sait créer l’insécurité de la victime pour la maintenir dépendante et obtenir le silence
- A. sait verrouiller le secret.
Lorsqu’Elise explique le processus à Annabelle, elle a déjà raconté son histoire en détail, elle ne peut que faire correspondre les cases. L’agresseur d’Annabelle a ciblé Annabelle. L’a misé en confiance. L’a isolée. L’a flattée. Humiliée. A créé la confusion, l’insécurité, verrouillé sa parole pendant des mois.
Céder n’est pas consentir
A l’écoute de ces histoires, se dessine ce conditionnement fatal à la soumission, à ne pas savoir comment sortir d’une situation dont on n’arrive pas à repérer l’engrenage. Elles se fient à. Elles n’ont pas le choix de se fier.
La violence subie échappe à la compréhension et le corps blessé cherche à la légitimer par une culpabilité que la violence lui a léguée : la douleur cherche une porte de sortie et devient intolérable enfermée dans les murs de la faute que la victime croit avoir commise. Pour se punir, pour vérifier, pour oublier, pour faire plaisir, pour s’échapper, parfois elles mettent des mois, des années à nommer l’événement qu’elles ont vécu.
La mémoire est une peine insoutenable.
A Annabelle aux prises avec sa culpabilité, Elise demande : « S’il était écrit sur son front « je suis un violeur », vous l’aurez suivi ? » Non. Voilà. Annabelle ne pouvait pas savoir que cet homme avait pour intention de forcer son consentement. Annabelle le reconnaît enfin.
A la hauteur du courage
L’histoire de Manon est racontée par sa mère. Voix calme. Elle déplie les faits que lui ont rapporté sa fille et ses amis. Pendant que sa mère téléphone, Manon dort dans sa chambre. Elle n’a pas encore pris de douche. La mère est désemparée : Manon ne veut pas porter plainte. Ne veut pas aller à la police. A peur qu’on l’insulte. Pourquoi ? Elle a déjà été violée. L’information sidère. Dans la vie de cette adolescente, déjà, alors qu’elle débutait le collège, déjà, elle a été marquée du sceau de la douleur d’être violée, elle a sombré. Il lui faut plusieurs années pour pouvoir en parler. A la police, on lui aurait demandé si elle avait clairement dit non. Elle ne sait plus. On lui répond : « ça n’ira pas loin. » Le médecin ne se préoccupe que de contraception. Le viol serait une sexualité.
La mère explique qu’elle ne veut pas trahir sa fille, cette-fois elle lui a tout confié tout de suite. Cette fois, Manon a appelé sa mère, cette fois, elle a hurlé non, cette fois… On a l’impression d’une bonne élève qui veut montrer qu’elle s’est appliquée à bien agir. La mère ne veut pas s’opposer à la volonté de sa fille. Elise explique : votre fille est mineure, il faut porter plainte, pour elle, il faut faire un signalement. Auprès de la police.
Signaler pour protéger.
La mère de Manon apprend – et moi aussi – qu’il y a une plateforme de la police où l’on peut signaler des violences sexuelles et sexistes. Des policiers formés guident et informent les victimes dans leurs démarches. Elise doit rédiger le signalement elle-aussi.
Ma Sécurité | Portail de signalement des violences sexuelles et sexistes (interieur.gouv.fr)
Vous n’êtes pas seule
Elise choisit ses mots, félicite les femmes qui appellent et dit à Annabelle : « Vous n’êtes pas seule. » La jeune femme demande : « Y en a beaucoup qui vivent ça ? » Silence. Le malentendu dit tout.
Elise acquiesce. Oui. Il y a beaucoup de femmes qui. Elle lui suggère de raconter son histoire, de la rédiger. Comme pour garder une preuve de ce qu’elle a vécu. Pour qu’elle n’oublie pas. Faire le récit et le récit juste prépare à tout : démarches juridiques mais aussi rédemption psychologique. Annabelle pourra rappeler, il lui suffira de donner un code et une écoutante poursuivra le travail amorcé par Elise. Comment ? Le code est simple : prénom + département+ date d’appel.
A chaque femme. prénom + département+ date d’appel.
Le viol est une violence de masse.
J’écouterai d’autres appels, la détresse est quotidienne, répétitive et singulière.
Le viol vient faire effraction, la vie ne sera plus la même, la créature abolie dans sa dignité, son intégrité devra reconstruire un puzzle dont on lui aura extorqué une pièce fatale : son consentement. Le vertige est là aussi : Comment éduquer ? Comment rétablir l’interdit du viol de manière radicale ? Comment éveiller les corps et les consciences ?
La mère de Manon est réassurée, elle va se connecter à la plateforme avec sa fille, elle sent que sa fille pourra le faire ici. Elle va attendre qu’elle se réveille, mettre les vêtements souillés de son adolescente dans un sac en papier kraft comme le lui a conseillé Elise, la mère de Manon est désormais convaincue de son devoir de protéger sa fille, elle se sent capable de le faire. Peut croire que cette fois, cette fois, sa fille aura une chance de ne pas sombrer, de ne pas suivre un chemin de croix sans fin.
Elise propose à Annabelle aussi de se donner une « récompense » après cet appel, une sortie, un plaisir, elle la félicite. Annabelle est réassurée. Elle sait désormais comment s’appelle le « ça » impossible qui la dévore depuis des mois et elle commence à refuser que ce « ça » la définisse.
Acceptant d’avoir été victime, elle veut se donner une chance de ne pas le rester, reprendre sa vie et son corps, à son propre compte.
Anxieuse, elle demande combien de temps ça va prendre, quand va-t-elle s’en sortir ? Honnête, Elise ne la console pas, ne lui ment pas : ce ne sera pas linéaire, parfois ça ira moins bien, mais elle dit et ça me percute : « Ce que vous êtes en train de gravir, c’est acquis. » Elles se remercient mutuellement.
Après ces appels, elles ne sont plus les mêmes, et moi non plus.
dalie Farah
A consulter et à diffuser :
Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95 – CFCV contre le viol
A télécharger et à diffuser :
Livret juridique – Collectif Féministe Contre le Viol (cfcv.asso.fr)
* Les prénoms ont été modifiés.