Au commencement était la vie ! Regain de Giono,  par la compagnie des Ogres.

<strong>Au commencement était la vie ! Regain de Giono,  par la compagnie des Ogres.</strong>

Au commencement était la vie ! Regain de Giono,  par la compagnie des Ogres.

Au commencement était la vie ! Regain de Giono,  par la compagnie des Ogres.

J’aime Giono et je ne suis pas la seule.

Autant dire que je suis méfiante.

Pour s’en prendre à Giono, faut se lever de bonne heure. En littérature, les imitateurs de Giono courent partout le blé à la main croyant avoir trouvé l’eau au fond d’un puits qui existait avant eux.

Autant dire que je suis frileuse face aux adaptations de ce texte tant aimé.

Prendre l’accent du sud, énumérer quelques fougues lyriques de la terre, dessiner deux trois personnages telluriques qui gouaillent et l’on croit avoir ressuscité un Pagnol patiné de Giono. (et inversement) Et je n’aime pas bien ça, faire de l’exotisme paysan, c’est comme l’exotisme de banlieue, ça cache un mépris qui me désole.

Autant dire que la Compagnie des Ogres prenait des risques.

Le spectacle commence fort justement par quelques bourrades verbales et physiques qui nous amènent jusqu’à la salle. Quatre comédiens interpellent dans un hors-scène les spectateurs en attente et guident une partie d’entre eux à une table. Table de ferme, tréteau et cagettes, épluchures de légumes, assiettes anciennes, pichets et verres épais épars de ci, de là. Je n’ose pas faire table commune et me tient à la place traditionnelle du public.

Surtout, en entrant une odeur, l’odeur d’une soupe que l’on sait déjà délicieuse, une odeur si fine, si subtile de légumes que l’appétit de mots patiente dans mon gosier.

Autant dire que j’avais faim.

L’interprétation des quatre comédiens, d’une grande fluidité, chorale et individuelle nous conte, au dîner, comme aux temps d’une seigneurie qui s’ennuie, l’histoire d’Aubignagne, l’histoire du vent d’Aubignagne, l’histoire des ses habitants. Ils sont trois. Gaubert. La vieille veuve Mamèche. Panturle. Ils ne seront plus que deux quand Gaubert doit retourner auprès de son fils, l’homme se fait vieux. Puis ils ne seront plus qu’un lorsque la Mamèche disparaît mystérieusement emportée par une prière. Panturle, sauvage sur sa colline, écorche des renards et voit le temps qui passe dans une solitude sans fin.

Autant dire que c’était bien raconté

Le choix des textes rend compte du roman, sans le malmener, sans le trahir, sans le singer. La justesse du montage et de l’interprétation prête le visage des quatre comédiens à tous les personnages. A l’aide d’accessoires symboliques sans être grotesques, ils se prêtent les rôles avec joie, vie, tendresse, vérité. Interprété collectivement, le texte fait foule, cette foule que l’on sent bien quand on lit Giono.

Tout le mysticisme de la survie est portée par les bouches qui murmurent, crient et chantent. Les corps qui s’agitent, vont et viennent. Faire le choix de raconter avant de jouer était l’idée juste, l’idée qui permettait de ne pas assassiner un Giono déjà mort. On les écoute, tous, un par un, deux à deux, tous ensemble. Nicolas. Iris. Romane. Solal. Merci.

Autant dire que c’était bien dit

Le théâtre contemporain faisande parfois de son surjeu, de sa débauche d’effets qui préfèrent le procédé aux mots. Le regard spéculaire sur sa forme en massacre des mots. Ces derniers temps, je me plais à la danse qui ne fait pas semblant de se passer des mots et assume son propre langage. Faire œuvre contemporaine avec Giono était difficile. Les jeunes comédiens clermontois ont eu le talent de dire plutôt que de « sur »jouer. De se lover dans le texte, de lui offrir un écrin et pas une massue pour l’écraser. Si l’on fait le choix d’un texte, autant l’aimer suffisamment pour lui prêter son corps. Sinon, dansons. C’est ce qu’ils ont fait. Ils ont dit. Ils ont chanté. Ils ont dansé. Ils se sont tus aussi. L’équilibre est partout même dans les scènes difficiles où le lyrisme de Giono emplit tous les vides.

« Et puis, il a attrapé le renard : c’était un jeune. Il était pris de tout juste à l’instant. Il devait être là à manger l’appât au bout des dents, se méfiant, connaissant le système et puis le pas de Panturle a sonné, le coup de dent a été un peu plus rapide, moins calculé et la mâchoire du piège a claqué sur son cou. Il est mort. Une longue épine d’acier traverse son cou. Il est encore chaud au fond du poil, et lourd d’avoir mangé. Panturle l’enlève du piège et il se met du sang sur les doigts ; de voir ce sang comme ça, il est tout bouleversé. Il tient le renard par les pattes de derrière, une dans chaque main. Tout d’un coup ça a fait qu’il a, d’un coup sec, serré les pattes dans ses poings, qu’il a élargi les bras, et le renard s’est déchiré dans le craquement de ses os, tout le long de l’épine du dos, jusqu’au milieu de la poitrine. Il s’est déroulé toute une belle portion de tripes pleines, et de l’odeur, chaude comme l’odeur du fumier.
Ça a fait la roue folle dans les yeux de Panturle.
Il les a peut-être fermés.
Mais à l’aveugle, il a mis sa grande main dans le ventre de la bête et il a patouillé dans le sang des choses molles qui s’écrasaient contre ses doigts.
Ça giclait comme du raisin.
C’était si bon qu’il en a gémi." Regain de Giono

Autant dire que c’était d’une grande beauté

Alors que Panturle œuvre à sa sauvagerie seul dans le village abandonné, le destin va lui apporter ce regain qu’il n’attendait pas. La Mamèche lui avait dit qu’elle lui apporterait ce regain, que ce regain ne pouvait être qu’une femme. Ce regain prend la forme du vent, personnage à part entière dans le roman de Giono, le vent apporte Arsule à Panturle. Cette femme, abusée par des hommes, sauvée par une femme se retrouve sur les routes avec un homme Gédémus, avec qui elle fait couple. La scène où Arsule subit la violence des hommes est jouée avec brio, celle où elle est portée par le désir, par l’érotisme du vent est magnifique aussi. Et simple. La force du féminin dans cette pièce redonne au roman de Giono un regain tout particulier. La force de vie vient du ventre, vient de la terre et depuis toujours la terre est une déesse, les Grecs l’appellent Gaïa, les Amérindiens, Asintmah, les Hindouistes, Prithvi.

« Le vrai, c'est qu'ils ont soifs d'être seuls dans leur silence. Ils ont l'habitude des champs vides qui vivent lentement à côté d'eux. Là, ils sont cimentés, chair contre chair, à savoir d'avance à quoi l'autre réfléchit, à connaître le mot avant qu'il ait dépasse la bouche, à connaître le mot quand on est encore à le former péniblement au fond de la poitrine. Ici, le bruit les a tranchés comme un couteau et ils ont besoin, tout le jour, de se toucher du bras ou de la main pour se contenter un peu le cœur. » Regain de Giono

Autant dire que je fus rassasiée

La rencontre entre Panturle et Arsule est celle de la terre et du vent, de la chair et de l’eau, du sang et de l’amour. Cette rencontre entre deux sauvageries que la vie leur a faite les sauvent. Mysticisme païen et chrétien qui renouvèlent les héros de l’amour. Point de princes et de princesses, la voilà, la Marie-Madeleine, la chanteuse à paillettes, abîmées par toutes les violences et le voilà, le Chasseur qui devient paysan pour elle. Le paradis n’est plus perdu, il est retrouvé. L’âge d’or n’est plus révolu, il est à venir. Virgile dans ses Géorgiques appelaient déjà à ce retour à la terre pour échapper aux guerres civiles qui ravageaient son siècle. la paix ne peut se faire sans la terre. Quelle bonne idée d’avoir permis au texte de donner son dernier mot par cette renaissance, certes très conformiste, mais si évidente : la naissance d’un enfant. Rappelons-nous que dans le roman de Giono même la chèvre donnera un chevreau. Le regain c’est la solution à toutes les Apocalypses.

Autant dire que la vie est le seul renouveau possible

L’on pourrait arguer de la naïveté de Giono au XXIème siècle. Qui plante du blé aujourd’hui pour être auto-suffisant et offrir la soupe à tout le monde ? L’on pourrait arguer que du ventre des femmes, on ne peut attendre toute la renaissance du monde. Et l’on aurait tort, ce que l’on peut prendre aujourd’hui, c’est cette idée juste : la force de vie est portée par chacun. Que le ventre des hommes et des femmes et de tous ceux qui se reconnaissent autrement peut donner vie. La vie est cette table commune dressée par la compagnie des Ogres. Une table commune où l’on partage le pain et la soupe de légumes. La transgression de notre époque c’est la force en commun, les forces de vie contre celles qui détruisent et affament.

J’ai peu rencontré d’ogres généreux dans ma vie, ceux-là m’ont donné faim et m’ont nourri, mon souhait est simple : écrire pour eux, depuis le pain de vie que je reçois chaque jour : les mots.

dalie Farah

Mise en scène collective : Nicolas Amatulli, Hugo Anguenot, Iris Calipel, Romane Karr et Solal Viala
Jeu :
Nicolas Amatulli, Iris Calipel, Romane Karr et Solal Viala