C’est la rentrée, on fait le ménage. (Le tri)

C’est la rentrée, on fait le ménage. (Le tri)

C’est la rentrée, on fait le ménage. (Le tri)

C’est la rentrée, on fait le ménage. (Le tri)

Le tri, c’est bien, on trie les déchets dans l’optique d’un recyclage, on trie les papiers, attention, c’est deux ans pour une quittance, cinq pour une relevé de compte, faut trier ça fait de la place dans les tiroirs, le tri c’est bien.

Cette année, au collège on trie (mieux) les enfants.

Est-ce si nouveau ?

Au début c’était très clair : pas d’école pour les filles et les prolos, pas besoin, pour le rôle qu’ils ont à jouer en société, pas besoin d’aller à l’école, y a l’école de la vie, fais pas ci, fais pas ça, fais comme ci et comme ça, t’as compris ? Et puis tiens, ferme-la, c’est bien ça aussi.  

Pourquoi ? Par respect, par miséricorde, pauvre sexe faible, pauvres pauvres, on va pas leur faire mal à la tête à leur mettre des trucs dedans, ce qui importe c’est l’éducation pas l’instruction. La première est un désir d’ordre social et de soumission, la seconde la possibilité d’une émancipation.

On éduque, on dresse les filles et les prolos dans la conscience de leur place possible dans la société. (Patriarcale) La scolarisation des filles et des prolos n’est pas vieille en France. Si vous allez sur le site travail.gouv.fr vous apprenez « qu’en 1836, l’enseignement primaire public pour les filles est autorisé. Mais l’enseignement féminin est surtout assuré par des institutions religieuses soucieuses de former des épouses et des mères chrétiennes. »

Donc, poubelle rose, les filles, poubelle bleue, les pauvres.

En France ça fait 188 ans que les filles peuvent aller à l’école, principalement pour être des épouses et des mères. Et c’est depuis seulement 100 ans que le programme scolaire est le même pour les filles et les garçons. A ceci, il faut ajouter – qui l’ignore à part ceux qui font semblant de l’ignorer ?- qu’à peine la moitié des enfants de milieux défavorisés sont bacheliers ou font des études supérieures.

Quelques luttes (de gauche) plus tard, allez, l’école c’est open bar, tous les enfants peuvent y aller, oui, oui, allez-y mais attention, doucement, ne bousculez pas, c’est pas vrai ça, doucement on vous a dit, collège unique mais merde vous allez vous ranger comme il faut oui ?

Heureusement l’école a réussi à maintenir le tri le plus possible. Tous les ans, on dit oh la la, oh la la, l’école a reproduit les inégalités comme si c’était un accident de navettes spatiales, un truc rare et surprenant. Je l’ai déjà écrit mais je le renote ici, oui, il y a des profs formidables, des établissement super chouettes, des chefs sérieux et engagés et même des Recteurs qui croivent en leur métier etc. Oui, tous ceux-là existent, envers et contre tout, Don Quichotte assis sur des tabourets en papier armés de pelles en plastique, Don Quichotte sincèrement convaincus qu’ils luttent contre l’ignorance, en faveur de l’égalité. Et j’en connais plein qui ont la hargne et la foi républicaines à faire du mieux qu’ils peuvent. Mais ce n’est pas le proooojet.

Le tri (social), c’est la norme.

Sous-représentation des filles dans les parcours scientifiques, sur représentation dans les parcours « soignants », sur-représentation des prolos dans les lycées pro- ; on tri et on classe en permanence même contre son gré. La ségrégation est malaisante, puissante. La carte scolaire parque les gens dans leur classe, les réformes ont continué d’appuyer avec frénésie sur l’accélérateur inégalitaire :   Nouveau bac, école privée toujours subventionnée, sections qui augmentent la ségrégation, stage de 3ème, spécifications des enseignements, parcours sup, groupes de ceci, cela, toi t’as pas les moyens, bouge pas de là…

Cette opération de tri saute aux yeux mais on aime trop l’école pour le reconnaître. L’école comme institution est confondue avec son objectif premier disparu depuis longtemps : l’instruction émancipatrice. Comment fait-on pour (se faire) croire que l’émancipation se transmet par la force ? Que l’émancipation est formée de quatre éléments : la soumission silencieuse, l’immobilité des corps, la docilité et l’obéissance ?

Apprendre est merveilleux, lire, écrire, découvrir et d’ailleurs les gosses adorent ça – au début. Comment fait-on pour les dégoûter de ces joies-là ? Certains arguent bons/mauvais profs ? C’est plus qu’inexact. La manière dont a conçu l’école peut émanciper par hasard, mais ne le fait pas en proportion des efforts du corps enseignant parce qu’elle n’est pas conçue pour.

Depuis presque 30 ans que j’enseigne, je vois les visages des élèves et des profs s’assombrir, les corps sont tristes, les pas sont lourds et fatigués ; surtout, cet ennui, cet ennui, cet ennui comme une marée sans fin. Cette année, les groupes de niveaux au collège viennent réaffirmer des critères sélectifs de merde qui confondent performance avec existence. Certains collèges ont cherché comment contourner ce qui leur semble une aberration, d’autres n’ont pas eu le choix d’obéir. Le classement c’est l’affirmation d’une hiérarchie des êtres. La hiérarchie, le classement sont les prémices de l’ordre.

L’école des dupes

Plus personne n’est dupe, mais que faire ?  Arrêter l’école ? Briser l’institution et imaginer autre chose ? L’ampleur de la révolution est telle que les bras sont baissés même quand le poing est levé.

Je pourrais filer l’analogie avec la plupart des injustices sociales de notre pays. Pays démocratique, pays riche aux mains d’une idéologie (crasse) de la sélection qui choisit le kärcher et le flash ball pour réduire les inégalités.

 Plus personne n’est dupe, mais beaucoup continuent d’essayer ; j’arrive en bout de course. L’école c’est bientôt fini pour moi. Mon corps ne peut plus. Je ne suis plus dupe ; décillée, je suis encore plus faible, je vois les coutures, les coulisses et les mensonges, je contemple la casse et je rêve d’user de mes dernière forces à d’autres formes sociales. Je rêve de m’engager au service d’une réelle émancipation en dehors de cette machine de tri sélectif qui contredit (et tue) toutes mes molécules.

dalie Farah

Pour compléter la lecture de cette chronique

Papiers à conserver | economie.gouv.fr

14923 MES Dates cl”s couv (travail-emploi.gouv.fr)

le niveau d’études selon le milieu social – état de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°17 (enseignementsup-recherche.gouv.fr)

Actualités/Essais/Documents | Editions Seuil – Parlez-vous le Parcours sup ? Johan Faerber

Au lycée, de nouvelles données révèlent l’ampleur du « tri social » entre les voies générale et professionnelle (lemonde.fr)

Groupes de niveau : le tri social systématisé et des modalités pédagogiques incertaines – UNSA‑Education.com (unsa-education.com)

Groupes de niveau & évaluations nationales : une même logique de tri social ! – SUD éducation (sudeducation.org)

Le SNALC contre le « tri social » – SNALCL’école face au « choc » du tri social – fsu81

Ivan Illich, Une société sans école : épisode • 4/4 du podcast Pour une autre école | France Culture (radiofrance.fr)

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