C’est pas la réforme qui est nécessaire, c’est la retraite. Voici pourquoi.

C’est pas la réforme qui est nécessaire, c’est la retraite. Voici pourquoi.

C’est pas la réforme qui est nécessaire, c’est la retraite. Voici pourquoi.

C’est pas la réforme qui est nécessaire, c’est la retraite !

Douleur et création

Cette année, le thème au programme des classes préparatoires c’est le travail. L’origine -discutée- du travail serait relatif à un objet de torture. (tripalium) Sans aller jusque là, le travail a toujours associé dans ses définitions deux notions qui en font l’ambivalence : la douleur et la création. Ainsi les représentations picturales du travail – notamment manuel- figurent des corps ployés, des corps qui supportent mais aussi des corps qui créent, qui fabriquent.

Selon un cycle présenté comme vertueux, le travail s’amorce comme un effort face à des contraintes, peut amener à une transformation créatrice, ajoute de la valeur à une matière ou un objet, lesquels peuvent êtres utiles et que l’on peut rémunérer à l’aide de contreparties. Ainsi, l’ouvrier se rend à l’usine, répète une tâche qu’on lui a assigné, ce qui permet la transformation d’une matière, qui peut devenir un objet qui pourra être vendu. L’ouvrier obtiendra de l’argent en échange de sa force de travail.

Schéma extrait de mon cours de prépa sur le travail. (inspiré du travail de Dominique Méda)

La valeur sociale du travail

Le travail doit alors permettre à l’individu de fonder son utilité sociale (parfois existentielle). La rétribution permet de participer à un effort commun (cotisations sociales et impôts) et à des nécessités individuelles (logement, nourriture etc.) ais aussi à l’achat de bienfaits. (moyens de transports, loisirs). L’on note que souvent cette rétribution est inférieure/ou insuffisante aux besoins. L’on note aussi que les conditions de travail ne respectent pas toujours l’intégrité morale et physique de l’individu.

« Le travail physique est une mort quotidienne. Travailler, c’est mettre son propre être, âme et chair, dans le circuit de la matière inerte, en faire un intermédiaire entre un état et un état d’un fragment de matière, en faire un instrument. Le travailleur fait de son corps et de son âme un appendice de l’outil qu’il manie. Les mouvements du corps et l’attention de l’esprit sont fonction des exigences de l’outil, qui lui-même est adapté à la matière du travail. La mort et le travail sont choses de nécessité et non de choix. L’univers ne se donne à l’homme dans la nourriture et la chaleur que si l’homme se donne à l’univers dans le travail. Mais la mort et le travail peuvent être subis avec révolte ou consentement. Ils peuvent être subis dans leur vérité nue ou enrobés de mensonge. Le travail fait violence à la nature humaine. » Simone Weil

Il est nécessaire alors que le « travail » soit protégé. Par des droits. Le travail sans droit est une extorsion de force, une violence contre l’individu. Ces droits doivent fournir une sécurité. Laquelle ? Une sécurité sociale qui protège l’intégrité physique et morale du travailleur. Le travail ne doit ni appauvrir, ni affaiblir, ni rendre malade, ni tuer.

Ainsi le travail avec ses droits peut créer des valeurs communes dans le cadre d’une organisation sociale juste.

Le travail, une valeur vitale ?

La Méridienne ou la sieste de Van Gogh- 1889/1890

Du travail on attend beaucoup : remédier à l’ennui, un progrès collectif, une réalisation personnelle, un sens existentiel, la richesse, le prestige, la prospérité. Et surtout : un salaire. Il est courant de parler de la valeur « travail » comme si le travail devait être défendu, qu’il était en péril, agonisant sur un lit d’hôpital. Il est courant aussi de juger ceux qui ont l’air de ne pas travailler. Non pas les rentiers qui méritent leur argent, mais ces autres en attente d’un droit social. Souvent, l’on va opposer au travail la paresse, le loisir, le chômage, l’oisiveté. L’individu qui ne se soumet pas à l’organisation sociale avec travail devient un marginal assisté qui s’extrait de l’économie de marché et renonce au culte de la performance accessible par le travail.

Le travail est-il nécessaire ? J’ai demandé à mes étudiants futurs ingénieurs : Si vous receviez l’équivalent d’un salaire d’ingénieur sans contrepartie, choisiriez-vous de travailler ? certains m’ont répondu par l’affirmative, d’autres par la négative en éclatant de rire. Madame, mais il y a tellement de choses formidables à faire dans la vie.

Tout simplement.

Qu’est-ce que la retraite ? Un droit. Qui donne de la valeur au travail. Et à la vie aussi.

Pas de valeur travail sans solidarité

Il y a un seul bon argument à cette réforme : le refus de la solidarité. Qu’ils le disent ceux qui la défendent. Qu’ils disent la vérité de la valeur qu’ils défendent.

La pénurie majeure de notre monde, c’est la solidarité. La pénurie seconde, c’est l’amour de la vie. La valeur « travail » dès lors qu’elle dévalorise une partie des individus et/ou la vie, n’est plus une valeur mais un levier de domination, d’oppression.

La pénibilité du travail peut-elle se mesurer ? La médecine du travail manque tellement de moyen qu’elle ne peut plus le faire. Toutes les vies n’ont pas les mêmes histoires de corps, les mêmes histoires d’âmes ; la pénibilité et la souffrance tiennent à tout un parcours dont le travail n’est qu’une partie.

Faut-il encore donner le chiffre des inégalités hommes/femmes ? Des professions manuelles/intellectuelles ? Des parcours de vie inégalitaire ? Faut-il encore prouver qu’un corps usé, un corps épuisé n’est pas un juste châtiment ? Faut-il rappeler la situation des personnes en situation de handicaps visibles et invisibles toujours punis dans leur cheminement ? Faut-il rappeler quelles sont les personnes les plus susceptibles de ne pas être au chômage ? Faut-il encore rappeler les mécanismes qui mènent au chômage de masse ? Faut-il…

Non.

Dans l’antiquité, le travail avait mauvaise réputation. C’était pour les esclaves.

« Les Anciens jugeaient qu’il fallait des esclaves à cause de la nature servile du travail et de toutes les occupations qui pourvoyaient aux besoins de la vie. C’est même par ses motifs que l’on justifiait et défendait l’institution de l’esclavage. Travailler c’était l’asservissement à la nécessité, et cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine. » Hannah Arendt.

Pour Platon et Aristote, il fallait être libéré de la nécessité et de toute dépendance au travail pour exercer sa citoyenneté. Être citoyen demande du temps et de la liberté, sans cela on ne peut déterminer le bien-être d’une cité. A la retraite, on aura ainsi tout le loisir de travailler, selon son rythme et ses désirs, selon sa volonté et ses possibilités.

Un retraité n’est pas un parasite, n’est pas un déchet, c’est un individu qui a tenu ses devoirs et qui a des droits. C’est une créature humaine qui a survécu et qui mérite encore de vivre en dignité. En toute dignité. Voilà la seule nécessité.

dalie Farah