Confession d’un masque tangawi, Adieu Tanger de Salma El Moumni.
9 novembre 2023 2023-11-09 13:55Confession d’un masque tangawi, Adieu Tanger de Salma El Moumni.
Confession d’un masque tangawi, Adieu Tanger de Salma El Moumni.
Confession d’un masque tangawi, Adieu Tanger de Salma El Moumni.
Elle est belle la voix de Salma. Dès les premières pages, on l’entend murmurer une histoire de fille, de femmes, de corps et de regards d’une voix entêtée et douce. C’est l’histoire d’Alia, une fille marocaine, Alia aime sa ville mais la traverse en ombre ou en proie, parce qu’elle est une fille. Alia, la bien nommée, tient sa force de l’amour qu’elle porte à son pays.
Le pitch du livre n’est au fond qu’une part de son intérêt : une jeune fille fait confiance à un garçon qui accède à des nudes qu’il va diffuser sur la toile. Le souci c’est qu’au Maroc c’est un délit grave, la jeune fille risque la prison.
Outre la thématique contemporaine du revenge porn, le roman explore une question qui me semble extrêmement importante dans la question des amours hétérosexués, c’est le regard et son anthropologie.
Au Maroc, tu sais que ne sont tranquilles que celles qui n’ont rien manifesté, celles qui n’ont pas été surprises. Les autres sont étouffées par des vidéos, des messages, des photos, des audios, une virginité perdue ou un sein dévoilé, un soir où elles ont senti un vent de liberté gonfler dans leur ventre et qu’elles regretteront une vie entière.
Une écriture du regard
Dans ce roman, la narratrice subit le regard masculin et se le réapproprie en se regardant, en se prenant en photo ; la romancière arrive avec beaucoup de justesse à décrire les regards comme des mains invasives.
Malgré une apparente banalité du sujet et peut-être une fin un peu longue, il y a une voix dont j’ai aimé la scansion et la beauté. L’écriture du féminin, c’est ce nuancier de voix qu’il faut laisser entendre. Salma El Moumni écrit le regard avec une belle acuité, poétique et sociale.
Heureuse qui comme Alia a une terre qu’elle peut regretter ? Une écriture du « nostos »
Salma El Moumni est normalienne, elle écrit aussi depuis cette expérience des corps qui s’exilent pour étudier et qui ont la possibilité de l’exil et j’ai aimé cette écriture du nostos. Je l’ai déjà écrit et c’est Jankélévitch qui le développe mais Ulysse n’est pas un aventurier, il ne cherche pas l’aventure, il ne cherche pas le défi, l’affrontement, il les subit car des Dieux en ont décidé autrement ; ce que veut Ulysse c’est rentrer chez lui, retrouver ses possessions, son fils et sa femme. Cette nostalgie de chez soi, c’est le « nostos ». On se rappelle le poème de Du Bellay qui semble ne pas avoir compris qu’Ulysse vivait la même peine que lui.
Salma El Moumni raconte la rencontre d’Alia avec Quentin dans un établissement où ce fils d’expatrié vit sa vie d’être supérieur, c’est un garçon, c’est un français, c’est un bien né. Elle raconte aussi son amour pour Ilias, ce marocain de Casablanca.
Ces deux garçons polarisent deux désirs qui s’excluent et n’apportent pas une satisfaction pleine ni à Alia, ni à ses hommes pris dans leur pauvre historicité.
Quentin, l’expatrié, profite de ses dominations post coloniales et masculines, Ilias de ses conditionnements virils et culturels. Ils ne peuvent être l’avenir d’Alia.
Alia ne peut alors que regretter un Maroc fantasmé entre ces deux amours inachevées. Il lui reste alors à inventer son histoire dans cet espace laissé par la littérature : le récit.
« Tu voudrais tout retrouver : Brel suivi de Fairuz, deux univers qui s’étaient côtoyés durant toute ta vie. Retrouver les nids des cigognes au-dessus des mosquées, les vieux bateaux qui bronzent au soleil, la vieille église repeinte depuis, enfermant l’enfance sous la peinture. »
Adieu Tanger, de Salma El Moumni aux Editions Grasset. A lire.
dalie Farah