De la véridique histoire de Laurent W. (et du moyen de le sauver)
25 juin 2023 2023-06-26 18:42De la véridique histoire de Laurent W. (et du moyen de le sauver)
De la véridique histoire de Laurent W. (et du moyen de le sauver)
Ce texte est né d’un malentendu, d’une consigne mal suivie : écrire un texte où seraient inscrits les 90 nombres d’un loto.
Laurent est né le douze du quatrième mois de l’année Mille Neuf cent soixante-quinze. Descendant d’une famille d’industriels, il grandit dans l’idée d’être le numéro un. Le conte évoque le pari d’un père à la tête d’une société d’investissement qui paria avec sa femme, mairesse d’une bourgade auvergnate, quatre-vingt-dix francs : cet enfant-là serait une fille. Il perdit. Jusqu’à trois ans, il grandit à la campagne, ce qui lui fera dire toute sa vie qu’il est un campagnard. Après ses années heureuses dans la ferme de son papa banquier et ancien consul de Suède en Bourgogne, l’enfant Laurent W doit partir, la légende raconte qu’il versa six larmes, deux pour chaque année passée au Chambon sur Lignon. Il dut partir à Paris et renoncer à sa carrière de fermier pour intégrer Henri quatre au lieu d’Henri cinq qui n’existait pas. Admis au quatorzième rang de Normale Sup, il fut fier et le resta. Puis passa l’agrégation où il se classa non pas place quarante ou dix-sept ou soixante et onze ni même trente-quatre et encore moins quatre-vingt cinq. Il arriva premier. Il fut fier et le resta.
Ainsi, en quatre-vingt dix-huit, diplômé de l’IEP, il choisit l’ENA. Laurent a dix-neuf ans. Nelson ne le sut jamais, mais Laurent W. sortit major, donc premier, de la promo Mandela.
Il fut fier et le resta.
Il se maria à vingt-six-ans, en 2001 et s’opposera au mariage pour tous en 2013. Quand la loi Taubira est votée, il a trente-sept ans, à quarante-trois ans, il ne désirera plus abroger le mariage pour tous qui pourtant d’après lui avait blessé tant de familles.
A vingt-deux ans il occupe une suppléance aux élections législatives de 2002. Il raconte les mois qu’il passa ensuite en Egypte, non pas trente, non pas quarante-deux, non pas trente-et-un, seulement quelques mois. Il en est fier car il a œuvré pour Sœur Emmanuelle. La sainte sœur ne le confirme pas, mais Laurent n’est pas d’accord avec elle, si si si, quelques mois à l’ambassade du Caire où il alternait entre bénévolat et petits fours, Sœur Emmanuelle ne s’en souvient pas, lui si.
Il est fier et veut le rester.
A vingt-six ans, il effectue une mission en Corse pour le Conseil d’Etat.
A vingt-sept ans, il possède tous les titres élitistes de la République.
A vingt-neuf ans il fut élu.
Fier, il fut encore. Et le resta.
Il est élu près de la circonscription où sa maman possède une résidence secondaire. C’est un pur hasard, un hasard de député, élu à soixante-deux pour cent de voix. Benjamin de l’Assemblée Nationale, il pavana, pavana, pavana, mais fut vite déçu de ce que la vie politique française fut quand même un peu absurde. Il en écrivit un petit opus, où à la page quarante-et une, il se plaignit, mais aussi à la page soixante-quatre, ainsi qu’à la page quatre-vingt une, soixante-sept, quarante-sept. Par contre page soixante-dix-huit, il fut fier, l’écrivit puis continua de se plaindre page soixante-dix neuf. Son livre, Un huron à l’Assemblée nationale fut vendu à quatre-vingt-quatre exemplaires d’après les mauvaises langues, cinquante-six d’après les très mauvaises, les chiffres sont secrets, mais il ne semble pas exact qu’il ait fait fortune après la vente de cet ouvrage où la quatrième de couverture énonce que : « Sa saine critique du système politique, sans concession mais sans méchanceté, annonce la transformation indispensable de l’institution et des hommes politiques. »
L’ascension du jeune Laurent W. n’est guère gênée, il a les appuis qu’il désire, les opportunités qui vont avec et les succès associés : secrétaire, député, porte-parole, redéputé, maire. Grâce à lui et à son président M. Sarkozy, l’Assedic devient Pôle emploi, Nicolas et Laurent n’ont jamais été chômeurs, car ce sont des bosseurs, eux qui n’ont jamais eu de mal à trouver du travail, désirent une offre raisonnable d’emploi, en équilibre entre les droits et les devoirs.
Laurent s’intéresse notamment aux saltimbanques, ces feignasses qui n’en foutent pas une et pompent des subventions qu’ils ne méritent pas pour faire les imbéciles en costumes devant tout le monde. Dès lors, porté par son propre élan, Laurent W crée son parti Nouvel Oxygène où les trente-deux premiers adhérents obtiennent un badge et un drapeau, les soixante autre un pin’s et un drapeau, les soixante-dix autres, un magnet et un drapeau, et les vingt derniers, de la verveine du Puy et un drapeau. Le Nouvel Oxygène malgré l’appel d’air de dons de financiers français à Londres respire mal, pourtant l’idée était prometteuse.
Il faut savoir qu’en masse, l’oxygène est le troisième élément le plus abondant de l’Univers après l’hydrogène et l’hélium, et le plus abondant des éléments de l’écorce terrestre ; l’oxygène constitue ainsi sur Terre 86 % de la masse des océans, sous la forme d’eau ; 46,4 % de la masse de l’écorce terrestre, en particulier sous forme d’oxydes et de silicates ; 23,1 % de la masse de l’air, sous forme de dioxygène ou d’ozone, soit 1,2 × 1015 tonnes, soit près de 21 % du volume total de l’atmosphère ; 62,5 % de la masse du corps humain ; jusqu’à 87 % de la masse de certains animaux marins.
Ce qui étouffe Laurent W, c’est pas ça, c’est l’assistanat ; le cancer français ce n’est pas le chômage, l’injustice sociale ni même la pauvreté, c’est l’assistanat ; il est contre, il a trente-six ans, jamais il n’a été assisté, on le rappelle c’est un petit campagnard, désargenté et méritant. Ainsi héritier d’une dynastie, Laurent W. avoue au JDD qu’il ne possède pas grand-chose, seulement deux logements à hauteur de cinquante pour cent, un de quatre-ving-neuf mètres carrés dans le quinzième arrondissement parisien et un autre de 200 m² au Puy-en-Velay. L’homme possède un PEA de 120 euros, 500 euros en assurance-vie et 577 euros sur un CEL. Sur son compte courant, au Crédit Agricole de Haute-Loire, il présente un solde positif de 2500 euros, toujours d’après le JDD. Le Figaro confirme. Le couple W. possède deux Peugeot, une trois mille huit et une trois cent sept. Pas grand-chose.
Pour Laurent, le travail est une valeur. Quand on n’a pas de travail, il faut travailler gratuitement pour prouver qu’on n’est pas au chômage par plaisir ou vice, il est hors de question que l’argent fasse vivre les pauvres gratuitement, c’est un scandale, sans compter les étrangers qui… hop hop hop. Il est recadré par Fillon et Sarkozy mais en 2012, Laurent W a terminé sa trente-sixième année et va sur sa trente-septième, Sarkozy lui pique ces idées qui plaisent bien à l’extrême-droite triomphante de 2012. Ils sont fiers, ils ont gardé le pouvoir pour eux.
Bien. Tout ceci est documenté et référencé.
Mais il faut rendre à Laurent W ce qui appartient à Laurent W.
A-t-il vraiment connu ses vingt ans ? Entre ses vingt-quatre et vingt-huit ans il n’a fait qu’étudier, travailler, à trente-trois ans il travaille avec Christine Lagarde, qui n’est pas une grande marrante, à trente-cinq il lance un groupe de réflexion qui s’appelle la Droite Sociale, on imagine que c’était pas bien marrant comme club, à trente-neuf ans, il devient maire du Puy-en Velay, n’achète pas de Ferrari et ne va pas courir les filles, n’a pas le temps de faire sa crise de la quarantaine, il travaille ; surtout à quarante ans, il demande qu’on puisse « fermer les formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes» pour privilégier « des formations débouchant sur des vrais jobs ».
C’est terrible. A quoi ressemble une fierté incapable de voir la beauté circassienne ?
Quel vide et quelle tristesse peuvent avoir saisi cette âme pour la rendre aveugle à l’art d’exister ?
A quarante-cinq ans en 2020, il dirige la région. Ses victoires se multiplient, il sera même réélu avec cinquante-cinq % des voix. Il aurait voulu soixante et un, sans doute aussi soixante-douze, ou mieux encore quatre-vingt-deux ou quatre-vingt-trois.
Aujourd’hui, tout le monde le sait, il veut être président de la République française, il fait tout pour. C’est effrayant. Tout son art d’existence est un art de la séduction, de la flatterie, de ce qu’il appelle valeurs.
Une valeur est toujours marchande.
Elle vaut tant.
Elle s’achète tant.
Elle se vend tant.
Combien vaut la vie de Laurent W à ses propres yeux ? Doit-on le laisser ainsi nuire à sa propre vie ?
Dans un fragment numéroté vingt-cinq, est attesté l’étymologie d’ambition par Plaute. Ambitio. C’est la « démarche pour solliciter les suffrages », le « désir des honneurs », c’est aussi la « Recherche immodérée de la domination et des honneurs. »
C’est simple. Il faut sauver Laurent W. Je veux sauver Laurent W. Sauvons Laurent W.
Laurent, écoute.
En 2026, tu auras cinquante-et-un an, tu ne te présenteras pas aux Présidentielles, tu abrogeras par un quarante-neuf.trois intérieur cette insatisfaction, ce délire d’Austerlitz quand la vie ne peut être que Waterloo. En 2027, tu auras cinquante-deux ans, tu ne regarderas pas la télé, tu ne seras pas jaloux de ceux qui seront élus à ta place, tu ne passeras pas des coups fils pour t’attirer des sympathies calculées, tu seras libre de tes amis. A cinquante-trois ans, tu te passeras de tweeter, tu arrêteras totalement de donner des avis sains mais pas méchants qui s’avèrent souvent malsains et méchants, tweeter n’est pas et ne peut pas être un espace de santé et de bonté, tu le sauras en 2028. A cinquante-sept ans, tu seras engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, tu utiliseras ton intelligence, ta mémoire et ta capacité de travail pour le bien de la planète et de ceux qui subissent les vengeances d’un système économique malsain et méchant. A cinquante-huit ans, tu renonceras à la fierté, tu commenceras à t’émanciper du poids de l’ambition. Quand tu auras soixante-trois ans, tu commenceras à être fatigué, mais tu t’endormiras d’un sommeil juste, ayant défendu la permaculture, tous les arts et la justice sociale, tu auras enfin compris que le travail ne peut être l’aliénation des êtres, tu sauras qu’il est criminel de traiter le temps de vie en euros ou en dollars. Comme le vieillard de Tarente de Virgile, tu auras ton jardin, tu seras auto-suffisant non pas de ta personne, mais de la terre sans pesticide qui te nourrit. A soixante-cinq ans, tu t’inscriras à une formation de marionnettiste, à soixante-six, tu en maitriseras la conception et la construction, à soixante-huit, la manipulation, à soixante-neuf tu créeras ton premier spectacle. L’histoire d’un homme qui n’aimait pas les marionnettes et qui ne savait pas qu’il en était une. A soixante-treize ans, tu pleureras devant les images des réfugiés climatiques qui mourront devant les murs-frontières établis par les pouvoirs des différents pays riches, tu te rappelleras de tes moqueries envers les écolos que tu surnommais les rigolos. A soixante-quatorze ans, tu seras secrètement engagé auprès de la résistance mondiale contre la pauvreté, tu créeras une marionnette activiste dont tu écriras les textes subversifs. Tes vidéos anonymes feront le tour du monde.
A soixante-seize ans, tout le monde t’aura oublié, seule ta marionnette sera connue, d’autres la copieront et une armée d’invisibles organisera une solidarité séditieuse contre les forces de l’ordre. A soixante-dix-sept ans, tu auras oublié pourquoi tu auras passé cinquante ans de ta vie à ne pas vivre. Pour tes quatre-vingts-ans, tu fêteras ton anniversaire avec tes treize voisins. Tu leur raconteras comment tu as été seul à Paris avec ta maman. Toi le cadet de la famille, tu as dû accepter le poids d’un père à l’absence douloureuse. Tu leur raconteras que tu as aimé apprendre l’arabe durant ton mémoire de maîtrise, tu leur diras que tu te déplaçais en rollers à Science-Po, tu leur montreras ta collection de BD, les livres de science-fiction que tu collectionnes. Vous écouterez de la musique électronique. Tu auras un peu honte d’avouer que tu avais demandé qu’on t’envoie ton cheval pour pratiquer l’équitation à l’ENA. Tes voisins qui seront de vrais amis, se moqueront de toi et te diront qu’on ne juge d’une vie que lorsqu’elle est achevée. Vous reprendrez tous un peu de cette bière artisanale fabriquée par un petit jeune du coin et vous compterez les étoiles du ciel jusqu’à ce que la nuit vienne alourdir vos silences. Alors vous irez vous coucher en attendant avec joie un nouveau jour de vie dédiée à la vie.
dalie Farah