El burlador : L’imposteur aux mille visages de Sonia Kronlund – Une imposture amoureuse

El burlador : L’imposteur aux mille visages de Sonia Kronlund – Une imposture amoureuse

El burlador : L’imposteur aux mille visages de Sonia Kronlund – Une imposture amoureuse

El burlador : L’imposteur aux mille visages de Sonia Kronlund

Je suis comme beaucoup une disciple dévouée des Pieds sur Terre, diffusé par France Culture, on connaît la voix et l’excellence des émissions de Sonia Kronlund qui publie aux Editions Grasset, une « enquête sur une imposture amoureuse » Durant plusieurs années, la journaliste a enquêté sur un homme capable d’adopter autant d’identités que de conquêtes, capable d’être médecin ou pilote, capable de travailler en Chine et au  Brésil en même temps. Il tient moins de Protée que de Zeus, la divinité qui féconde les unes et les autres d’une pluie d’or ou sous la forme d’un taureau blanc ou même d’un cygne.

Ricardo est cet homme, un mystificateur, Daniel, Rico, Alexandre, il est plusieurs et somme toute il n’est personne.

Sur le ton de l’enquête, Sonia Kronlund raconte d’abord sa rencontre avec cette histoire. Elle a pour habitude de dénicher les bonnes histoires comme un déniche des truffes, mais celle-ci diffère des autres car elle vient résonner avec son propre rapport à l’amour et aux hommes et surtout à ses propres mésaventures.

Plusieurs questions traversent cette enquête à se demander qui trompe qui. Comment une telle supercherie arrive-t-elle à se mettre en place ? Comment cet homme réussit-il à faire croire qu’il est chirurgien alors qu’il n’a aucun diplôme ?

On pense au film Attrape- moi si tu peux, où l’on admire la maestria du beau Léonardo Di Caprio, incarnant l’imposteur de 16 ans capable de faire croire qu’il est pilote par le simple fait de porter un uniforme.

L’art de « faire croire » est au programme cette année en classe préparatoire et j’ai été d’autant plus intéressée par le livre de Sonia Krolund. Cet art illusionniste, possède le merveilleux du spectacle de magie, mais aussi la sordide manipulation du mensonge qui peut prendre des proportions morbides et fatales.

Dans une narration sincère, Sonia Kronlund interroge sa propre fascination. Et le lecteur se laisse prendre au talent terrible de ce Ricardo qui promet le mariage ici, et fait un enfant par là. Ce n’est pas seulement un homme infidèle, c’est un professionnel de la burla. El burlador de Seville, c’est le Dom Juan qui trompe pour épouser, il ne fait pas que coucher, séduire ; il épouse. Ricardo fonde des foyers, se lie, fait couple. Il promet la romance et offre la romance. Paris est la ville idéale du cliché romantique et des femmes avisées y succombent, ainsi fera-t-il dans de nombreux pays. Le conditionnement amoureux est le socle de la burla.

Le désir d’être aimé et la triste conviction qu’on ne le mérite pas, amènent souvent aux mauvaises rencontres qui – toujours – ont le goût du merveilleux. Qui a la force de ne pas prendre ses désirs pour des réalités dès lors qu’un maître illusionniste s’y applique ?

Sonia Kronlund raconte son enquête qui la transporte en Pologne où j’ai appris que la suspicion est un sport national, où il existe des magasins où l’on trouve de tout pour surveiller son prochain. Elle va aussi au Brésil pour établir la biographie de ce Ricardo et comprendre pourquoi il agit ainsi.

Chercher à savoir pourquoi Ricardo est Ricardo sans froisser les victimes qui lui ont confié leurs histoires n’est pas une simple affaire. Comment comprendre la nécessité de cette tromperie en obviant la participation des crédules ?

Sonia Kronlund va alors confier ses propres failles, ses propres zones troubles : l’enquête journalistique ressemble à une quête amoureuse, elle veut retrouver Ricardo comme pour saisir cet amoureux zéro qui aurait décidé de ses propres impasses amoureuses. Peut-on expliquer la triche de l’amour grâce à ce spécimen masculin ? Représente-t-il la manipulation au masculin ou la manipulation inhérente à notre rapport à l’amour ?

C’est bien ce que j’étudie dans Les Liaisons dangereuses ou dans Lorenzaccio cette année : comment le mensonge amoureux se met-il en place ? Comment celui qui trompe s’appuie comme un caméléon sur celui/celle qu’il/elle veut tromper en épousant avec une précision géniale son désir d’être aimé ?

Ricardo ne peut pas faire preuve d’empathie, ses multiples compagnes sont des repères qui lui permettent de jouir de ses métamorphoses, et d’en profiter : c’est bien de ses propres images dont il est amoureux, il ne peut pas aimer ces femmes… Et elles ? Peuvent-elles aimer un homme qui n’existe pas ? Un homme fictif incarné par un comédien talentueux mais faillible ? Sans doute, cèdent-elles – pour commencer – au miroir favorable qu’il leur tend.

A se trouver belle dans le miroir des menteurs, on a beaucoup de mal à quitter la fiction pour la triste et douloureuse vérité.

Toutes les liaisons sont dangereuses : la confiance amoureuse est un risque, celui de préférer l’image de soi à ce que l’on est vraiment. Lorenzo se demande « Suis-je Satan ? » Lui qui a feint d’être un débauché pour tromper le Duc Alexandre et l’assassiner ne sait plus qui il est, ne voit pas plus sa bonté possible. Il a fini par se tromper lui-même.

La puissance des fake news appartient à l’habileté du menteur mais aussi au désir de crédulité inhérent à tout lien social. Pour se protéger des manipulations, il faut bien se connaître et se méfier de soi.

Je ne dévoilerai pas toute l’enquête de Sonia Kronlund, autant profiter entièrement de la lecture, mais je crois qu’au cœur des métamorphoses de Ricardo, il y a la nécessité non seulement de dominer par son apparence, mais aussi une forme de conversion mystique à la fiction de soi, semblable à la publicité. Ricardo est son propre produit, son slogan est simple : je suis digne d’amour. De cette dignité amoureuse il tire un bénéfice social (et souvent financier) immense, il a optimisé son physique, ses atouts virils, ses talents de burlador, et ce, aveugle à toute la destruction engendrée autour de lui.

Il se croit, il ment, il se croit. Inventer c’est l’acte créateur, performatif ; d’une histoire, on crée un monde ; il n’y a pas plus grande ivresse que la capitalisation de soi.

Ainsi va toute capitalisation, elle détruit l’air que l’on respire, pollue l’eau que l’on boit. Les femmes séduites par l’alliance de puissance et de vulnérabilité cèdent à l’enthousiasme du menteur qui leur promet des fictions adéquates : mariage, déménagement, famille. Tout ce qui est promis par l’amour investi socialement. Céder n’est pas consentir. Il est poignant de lire toutes ces femmes qui vont être seules, de leur ventre gros, seules, de leurs cuisses à l’accouchement, seules de ces nuits sans sommeil, l’enfant contre elle signant cette solitude comme une honte irréversible.

L’on souhaite qu’elles ne puissent nier que c’est d’amour que leur enfant est né, mais comment expliquer que cet amour est pour partie un drame et pour l’autre une comédie ?

« Je me sens moins seule depuis que je suis seule. »

Sonia Kronlund

Sonia Kronlund trouve alors dans cette enquête, la résonnance contemporaine qui l’amène vers sa propre libération, je l’ai écrit mille fois, l’émancipation ne peut venir que de soi. Inspirée par le féminisme contemporain et ce chemin d’enquête, elle choisit sa solitude. Cette prise de pouvoir sur soi empêche l’emprise et son enquête l’amène à jouer un rôle aussi, à mentir, à revêtir des identités tronquées ou masquées pour en savoir davantage, même si la morale vient grignoter sa probité journalistique.

Ainsi s’opère la transformation de l’objet dominé en sujet (se) dominant, en dominée émancipée, elle affirme sa victoire sur la force qui lui nuisait et sur elle-même, en même temps.

dalie Farah