Gens de Clermont III- Ruptures et petits plats

Texte à dire, à lire, à chantonner et à manger.

Ce texte prend son origine dans un roman que j’avais écrit il y a au moins quinze ans qui racontait les mésaventures amoureuses d’une Bridget Jones berbère qui aime faire la cuisine et associe une rupture à un plat. L’idée était restée là.

J’ai proposé à Béatrice Chatron, cuisinière et comédienne,  amie précieuse en vie et en littérature de partager cette idée avec moi. C’est ainsi qu’elle m’a soutenue quand je l’ai évoquée à Laure et Clémence Desbruères  au tiers-lieu Les Vinzelles (Volvic).  Je voulais faire un recueil de paroles sur le lieu et écrire un texte qui serait lu et associé à un repas. Margot Bonvallet la libraire et Margaux Lapendry l’autre cuisinière étaient partantes aussi.

Je poursuis ainsi ma série Gens de Clermont, commencé à la Cour des 3 coquins avec Loïc Nowak. Le texte est composé de monologues et de dialogues issus de ce recueil, le texte est brut, la composition suit un mouvement d’élucidation mais l’on peut interpréter cela comme une matière vivante et mobile. J’ai ajouté des textes qui permettaient aussi de se moquer du motif de la rupture : dérision autour du coaching de la rupture dans les magazines et sur les réseaux, ils sont visibles par une police de caractère particulière. J’ai aussi ajouté un texte nécessaire pour dire la vérité des ruptures notamment concernant les femmes. Il s’agit d’une femme – clermontoise – qui a survécu à une tentative de féminicide. Certains passages sont des « polyphonies » avec de la musique, des paroles de chansons de ruptures ânonnés. Enfin, après un travail de lecture/jeu avec Constance Mathillon, Sébastien Saint-Martin, Béatrice Chatron, Fabrice Roumier, Manu Bigeard, j’ai introduit ma propre parole d’auteur qui vient directement expliciter ce processus d’écriture et l’intention de ce qui se lit. Ainsi, l’interprétation et le jeu sont libres, du solo au duo ou au texte choral, ma joie est que le texte appartienne à ceux qui le disent.

La litanie des ruptures dépeignent la singularité et l’universel amoureux : en recherche d’amour, on se perd et on se trouve, dans le couple, on s’enferme ou on se libère selon une chimie opaque. On aime depuis son enfance, depuis le ton d’une rencontre, depuis ce que l’on voudrait être ou ce à quoi on voudrait ressembler, souvent on aime n’importe comment en désir impérieux de recevoir un peu d’amour, cela peut durer quelques mois ou des années pour enfin rompre et tenter de trouver à s’aimer mieux. Ou pas.

dalie

La forme finale a été restituée sous forme de lecture chorale le 9 décembre 2022.

Extrait :
Maxi- CONSTANCE
ELODIE- J’ai rompu à cause de la distance mais ça m’arrangeait bien. Arnaud, c’est une histoire qui était finie avant de commencer, je me sentais seule, je me disais, ce sera une passade. (Silence) Une passade de cinq ans, ça fait long, surtout que, faut le dire même si c’est pas très gentil,  mais avec Arnaud, je m’ennuyais. Il était gentil, hein, attentionné, oui, gentil, c’est sûr, mais mou. Archi mou. Totalement mou. Pendant cinq ans j’ai attendu une péripétie qui n’est jamais venue. Le Désert des Tartares. J’ai profité de revenir dans ma région pour du boulot et lui dire, au téléphone : Je crois que c’est fini. Il n’a pas compris. Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Pour ma première rupture avec Franck c’était facile, c’était un enfoiré qui me traitait comme une merde, mes amis m’ont dit qu’est-ce que tu fais à rester avec ce connard de Franck, pourquoi tu acceptes ça. On a rompu d’un commun accord, même si Franck était plus d’accord que moi, mais bon, dans un sens, c’était plus facile, c’était clair, quitter un connard ou une connasse, ça se fait. Mais Arnaud. Quand il m’emmenait au restau c’était au MacDo. Moi j’avais la flemme de faire la cuisine, flemme parce que j’avais une heure trente de trajet, flemme parce que j’avais des cours toute la journée, lui avait huit heures et il ne faisait rien. Il avait quatre ans de moins que moi et bon, c’était un gros nounours qui avait l’habitude que sa mère fasse tout pour lui, alors bon, j’avais la flemme et j’allais à MacDo avec lui, j’ai grossi en cinq ans. Il prenait deux burgers, avec les gros steaks à 180 g et maxi frites et maxi Sprite. Maxi chiant. Pour lui, manger McDo ou faire un bon petit plat c’était pareil. Alors, bon, le reste du temps c’était pâtes. Maxi pâtes. (Silence) J’ai pas eu le courage de le quitter, pas le courage de lui dire pendant longtemps. Et quand c’est venu, je n’ai pas pu lui dire la vérité. C’est facile avec quelqu’un de méchant, mais avec Arnaud ? J’ai rompu au téléphone à 700 km. J’avais pas envie de le blesser. Je lui ai dit, On n’a pas les mêmes envies, je lui ai dit : Nous n’avons pas les mêmes aspirations dans nos vies car nous ne sommes pas aux mêmes âges. J’avais un peu honte de parler comme une Directrice des Ressources Humaines. Mais j’allais pas lui dire, Je te quitte parce que je me fais profondément chier avec toi. Il ne me croyait pas, il a insisté, il s’est énervé, m’a traité de pute, il m’a demandé si j’étais sûre. Oui, j’étais sûre. (Silence) J’ai pleuré. Pendant plusieurs mois. On ne reste pas cinq ans en couple comme si c’était cinq ans de dimanche après-midi pluvieux sous la couette. On ne met pas sa vie en pause comme si on n’allait jamais mourir. On ne traite pas les gens comme des doudous. J’avais le sentiment de tout rater. D’être un monstre. Cinq ans de ma vie à manger MacDo avec un garçon dont je n’étais pas amoureuse, c’est pas le pire, cela faisait douze ans que j’allais de boulot en boulot sans trouver ma place. (Silence) Je passe mon temps à me mettre dans des trucs qui me vont pas et à rompre. Je voulais pas être comme mes parents, qui en sont à trois divorces à eux deux. (Silence) Je suis de nouveau en couple et ça promet d’être compliqué, je suis amoureuse d’un autiste Asperger. Benoît est le père de mon fils et il fait une excellente tarte aux poireaux. J’aime pas le poireaux, surtout le vert. Benoît fait caraméliser les blancs dans du beurre et il fait la pâte sablée lui-même, il ajoute un œuf et de la crème, du gruyère et parfois une pincée de noix de muscade. J’adore ça. Pour le moment.

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MARGOT- J’ai rompu alors qu’on était encore ensemble, j’ai posé mon alliance, elle me brûlait l’annulaire. Je ne savais pas comment lui dire que je souffrais, je me suis mise à me coucher tôt, à me lever tôt, à travailler beaucoup,  j’ai arrêté de manger ce qu’il mangeait, on ne s’aimait plus, je voulais disparaître.
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MARGOT- Avec elle, je suis heureux d’un sandwich jambon-saucisson sur le bord de la route ou d’un restau étoilé. 

La bonne cause- SEBASTIEN
JEAN- Ça fait deux semaines que je pédale. Je viens de Belgique. Le vélo, c’est un défi. Un défi physique et un défi d’introspection. Je pédale dans la forêt. Aux bords des champs. Je suis conseiller conjugal et je pédale. Je réfléchis sur un vélo tout terrain. J’ai été marié 27 ans, et j’ai demandé à être séparé. Séparé de ma femme. J’ai eu le désir d’être séparé d’elle. (Silence) Quand je pédale, je pense ou je ne pense pas mais au moins je m’écoute et je suis seul. (Silence) Je voulais me marier. Se marier, c’était être heureux. Se marier c’était avoir des enfants. Avoir des enfants c’était être heureux. J’ai mis du temps à me rendre compte que ce n’était pas fondé. Le bonheur. (Silence) J’étais certain que j’allais aimer ma femme toute ma vie, je ne pensais pas qu’elle m’aimerait toute la sienne. Je ne croyais pas qu’on puisse m’aimer moi et j’étais sûr, je pensais. Que je ne cesserai jamais de l’aimer. On ne peut pas aimer et se dire que cet amour ne va pas durer. On ne peut pas. Mes parents sont encore ensemble. Mes frères et sœurs sont en couple aussi, je ne sais pas s’ils sont heureux, mais ils sont mariés. (Silence) Y a eu une accumulation de beaucoup de choses. J’ai débordé. Je suis un vase qui fait du VTT. Je n’ai rien dit en 27 ans. Pas de dispute. Pas d’affrontement. Elle préférait le Bordeaux, moi le Bourgogne, on buvait du Côte du Rhône et pour lui faire plaisir je buvais parfois du Bordeaux, du bon Bordeaux, c’est rare mais possible. Le couple c’est une concession. A deux tu composes. La composition du couple, c’est à deux que ça se joue. Je buvais du Bordeaux. Du bon Bordeaux. (Silence) Elle bossait pour une association, elle y était H24, elle y passait un temps dingue sans rémunération, sans être respectée. Une association que j’aimais, on s’est rencontré dans une manif, on est militants tous les deux, on défend les sans-papiers, on agit pour l’égalité ; on n’a jamais souffert des inégalités, on a toujours eu des papiers et c’était important pour nous d’aider les plus fragiles, on vient d’un milieu aisé. On ne reproche pas à sa femme de trop s’investir pour une cause juste. Je ne suis pas ce genre de gars. Je ne lui ai rien reproché. Mais quand elle a arrêté, j’étais soulagé. Elle voulait du temps pour elle, et j’espérais aussi pour moi. Puis après quelques mois, elle a repris ce boulot sans salaire et sans repos. L’amour est parti quelque part ailleurs quand elle me l’a annoncé, je me suis senti trahi. Je lui en ai voulu. (Silence) Elle ne me doit rien mais je manque. On a peut-être cessé de s’aimer il y a longtemps et on était trop occupé pour s’en rendre compte. Je travaille beaucoup moi aussi. (Silence) On a essayé une thérapie, elle a dit : je l’ai mal aimé. Je suis tombé en sanglots. Comme un enfant. C’est vrai. En 27 ans, on a fini par mal s’aimer. C’est peut-être fini. J’ai peur de la perdre depuis que je l’ai quittée, mais j’ai encore plus peur de me perdre. (Silence) On a des amis. Beaucoup d’amis. J’ai peur de les décevoir. Nos enfants aussi. Ma femme est une femme généreuse, engagée et je la fais souffrir. Je voudrais y croire. Je voudrais relever le défi de l’aimer à nouveau, de faire repartir notre couple, de retrouver l’homme qui pouvait vivre sans ressentir le manque d’amour. Je voudrais ne pas divorcer, arriver à sauver le mariage, le bonheur auquel nous avons cru. Je voudrais. (Silence) Voilà, j’ai 54 ans, et je fais du vélo parce que je manque de tendresses, de douceurs dans ma vie. Je manque d’amour. Plus je pédale, plus je comprends que je n’ai pas vécu ma vie. Sur le VTT, je vis ma vie. Aujourd’hui, ma solitude me donne envie de vivre. (Silence) Je faisais tout à la maison, tout, sauf la lessive. Ma femme dépendait de moi pour tout. Sauf la lessive. C’était pas grave quand on partageait d’autres choses. Au bout de 27 ans, les enfants partis, il ne restait que la lessive. Nos vies sont séparées. On ne s’est jamais entendu sur le vin. Mais pour le reste je croyais qu’on s’entendait. (Silence) Il y a trois femmes dans ma vie, une que je vais peut-être quitter, une autre que je n’ose pas aimer et une autre, qui n’existe pas, une autre que je voudrais rencontrer, celle qui m’aiderait à choisir, à prendre une décision. (Silence) Avec ma femme, ça s’est fini un lundi matin. Je me suis levé,  puis, dans la cuisine, on s’est croisé et je l’ai évitée. J’ai évité ma femme. De toucher, de la toucher, que nos corps se rencontrent, elle s’est mise en colère, elle a crié sur moi. Peut-être que c’est ce que je voulais. De la vérité. Arrêter de faire semblant que tout allait bien. On est allé travailler tous les deux. Le soir je suis rentré, elle était sur la terrasse, et je lui ai dit : je n’y arrive plus. On a parlé. On a pleuré. On a bu une bouteille de vin à deux. Du Côte du Rhône. Elle m’a demandé : on ne fera plus jamais l’amour ? (Silence) J’ai décidé de partir de Bourgogne pour le Bordelais en VTT. Je ne sais pas encore si je vais oser vivre une vie à moi, un nouvel amour pour moi. Je ne sais pas.

Intermède 2– DALIE- MANU
FARIDA- Mon amour, t’aimer n’est rien quand la morsure de ton absence vient se loger là, dans mon cou, juste là où il y a peu il y avait tes lèvres, t’aimer n’est rien quand il me faut sans cesse chercher à t’inventer dans les creux de ma solitude ; t’aimer n’est rien quand je crois avoir libéré ma pensée de ton souvenir et qu’une image surgit, celle de rien, tes doigts, tes mains, un lobe d’oreille, cette tempe inouïe ; oui, t’aimer n’est rien quand je suis là à dire aux arbres et aux lampadaires que je t’aime. Ils le savent, ne peuvent le répéter, c’est le secret des amoureuses silencieuses, elles savent tout dire au vent et se taisent de honte d’être mal comprises.
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