JEAN ZAY- L’anniversaire

Texte choral à dire– pour une classe, un groupe, un duo, un trio.

Note d’intention

Je travaille à Thiers dans un lycée qui s’appelle Jean Zay. On peut admirer son architecture art déco depuis l’autoroute qui va à Lyon et à Saint-Etienne. J’y suis depuis la rentrée 2007. J’ai eu l’occasion de fêter les 80 ans du lycée et en 2023, ce fut les 90 ans. Ces années ont filé mais la personnalité de Jean Zay demeure une forme de totem dans ce lycée de culture technique et industrielle.

J’en aime les larges couloirs, les hautes fenêtres, la camaraderie technique et les personnalités décalées qui traversent les salles au gré des mutations du personnel. J’y ai quelques blessures mais aussi des joies fraternelles et enseignantes.

La figure de Jean Zay est une figure à part dont j’ai fait connaissance grâce au nom de mon lycée et j’ai été troublée de la personnalité, du parcours de cet homme idéaliste, radical socialiste. Je me retrouve dans sa foi dans l’art et la beauté, la littérature, le cinéma et le théâtre, sa conviction envers l’éducation populaire. Qui n’a malheureusement pas pris racine dans l’éducation nationale. Les murs et les gens peuvent faire la beauté du lieu mais je ne suis plus convaincue du dispositif scolaire sources de bien des inégalités.

Pourtant, c’est bien dans mon lycée et depuis mon lycée que ce petit texte est né. J’avais envie que les élèves puissent connaître cet homme, ses idéaux et les tricheries fatales qui entourent sa mort. J’aurais voulu en savoir plus sur Jean Zay pour ne pas faire œuvre de propagande morale, il n’est jamais juste de transformer les hommes en saints. Je me suis servie de sa biographie, de livres sur lui, de vidéo, de documents radiophoniques et j’ai utilisé l’humour pour donner une épaisseur humaine à cet homme dont la dépouille repose désormais au Panthéon. L’héroïsme a le défaut de transformer la chair en symbole et de la maltraiter.

Le texte a explicitement une volonté pédagogique et ludique, il a été écrit pour être joué par une classe entière, un groupe mais peut aisément être porté par deux ou trois personnes. Il y a de nombreuses didascalies pour que des élèves puissent s’en emparer seuls et interpréter le texte de manière autonome. Les documents sonores sont fabriqués de manière authentique sur le lieu de représentation (micro-trottoir, chanson) et ne sont donc pas retranscrits ici. Deux personnages occupent un rôle à la fois imaginaire et documentaire : Le Tailleur et Le Conteur d’histoire. Le premier dessine la France des années 30 à travers le costume masculin, puis féminin, le second documente la biographie de Jean Zay.

C’est un hommage à un homme de gauche, un gars sans doute ordinaire dont on ne pourra jamais connaître les ombres mais dont l’histoire singulière devenu tragiquement exceptionnelle nous montre comment le pouvoir peut user de sa force injuste en toute légalité.

EXTRAIT :
PREMIER TABLEAU- CES ANNEES-LA 
1-	
(LE CONTEUR D’HISTOIRE peut de temps en temps consulter son portable pour lire les infos ; TAILLEUR  défile ou fait défiler, prend des airs et des poses tout en écoutant les autres)

LEANE -  (avec un portrait ou un livre sur Jean Zay dans les mains) Tu le regardes ? Tu vois quoi ?
ARTHUR - un homme en costume ? 
LEANE - Il est né en 1904. 
YASSINE - Notre lycée en 1933
CLEMENT - Ça fait 29 ans de différence.
YASSINE- Il se passait quoi dans les années 30 ?
JACQUES- La crise économique qui a éclaté aux États-Unis en octobre 29 se mondialise. La France, moins touchée que d'autres pays européens, connaît des difficultés économiques et sociales. Ces difficultés se traduisent par une forte instabilité ministérielle.
YASSINE- Il faisait quoi en 1933 Jean Zay ?
LE CONTEUR D’HISTOIRE (JACQUES)-  Député du Loiret sous l’étiquette Radical-Socialiste
LE TAILLEUR en off- Souvent associé aux gangsters, les années 30 c’est l’âge d’or du costume masculin. Revers généreux, gilets cintrés ; feutres et cigares, canotiers et ensemble trois pièces. La tendance pour les hommes c’est le costume. Surtout pour les députés.
YASSINE - Député à 27 ans ? C’est bien non ?
LEANE - Oui, il se fait très vite remarquer, talent oratoire, engagement, enthousiasme, il veut rénover son parti.
YASSINE – Et en France ?
JACQUES -  Crise mondiale. Les campagnes sont gravement atteintes par la baisse des prix agricoles, les faillites se multiplient. Le chômage, complet ou à temps partiel, touche toutes les catégories sociales.
LE TAILLEUR (en off) - Le pantalon d’un costume classique possède deux pinces, se porte en taille haute. Son but est d’épouser au mieux vos formes. Les hommes aussi ont des fesses ! Ainsi, en comparaison à un pantalon moderne qui efface vos hanches, le pantalon taille haute les mettra en valeur pour vous donner une allure plus sportive une fois la veste tombée. Les pinces, inventées à la fin des années 20, sont caractéristiques de la grande ligne opulente des années 30. Elles permettent d’élancer les jambes en donnant une silhouette tirée à 4 épingles. 
2-	
LE CONTEUR D’HISTOIRE (MAXIME)-  Jean Zay commence tôt sa carrière politique, dès sa majorité.
ANOUAR- 18 ans ?
LE CONTEUR D’HISTOIRE (MAXIME)-  Non, 21. A l’époque la majorité politique, c’est 21 ans, il s’inscrit au Parti Radical, il participe à des cercles républicains, il est membre de la ligue des droits de l’homme, et devient franc-maçon.
ANOUAR – Et en France ?
AYMANE- Instabilité ministérielle, scandales financiers, mécontentent de la population. 
JACQUES- On dirait que le passé, c’est toujours plus ou moins le présent ?
AYMANE - Les ligues d’extrême droite appellent à la violence contre les communistes et les socialistes. Elles accusent les juifs et les étrangers d’être les responsables de la crise. 
JACQUES - Le passé ne peut pas être le présent, hein ?
AYMANE - Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite appellent à un rassemblement devant la chambre des députés. Cette manifestation tourne à l’émeute et fait 15 morts.
(Voix 5 s’assoit) - (silence)
ANOUAR - Et Jean Zay ?
AYMANE -  Député, il prend de l’importance dans son parti qui rejoint le Front populaire en 1936.
LE TAILLEUR (en off) - La ceinture n’est pas un accessoire en cuir mais simplement le haut du pantalon qui épouse l’abdomen (cela cache un peu les petites bedaines) et donne une allure sportive à la tenue. Ces pantalons se portent souvent avec bretelles. Le pantalon est large et tombe avec élégance sur la chaussure.