La Grande Beune de Pierre Michon, les confins de la beauté amoureuse

La Grande Beune de Pierre Michon, les confins de la beauté amoureuse

La Grande Beune de Pierre Michon, les confins de la beauté amoureuse

Parmi les Vies Minuscules écrites par Pierre Michon, il y a La grande Beune éditée en folio, 78 pages, de grandeur narrative et descriptive. Pierre Michon est l’un des auteurs qui m’apprends à écrire, un de ceux que je lis et relis, attentive aux glissements syntaxiques, attentive à la construction fugace d’un silence.

Il a l’art de rien, et c’est sublime.

Pierre Michon (en 2017)• Crédits : © Sophie BassoulsGetty

Dans la Grande Beune, il est question d’amour, d’une vie minuscule à aimer. dans un décor rural, loin des caricatures romanesques, loin des nostalgies sucrées télévisuelles, un jeune homme de vingt ans, muté dans un paysage de roches, d’eau et d’hommes à la matérialité brutale et érotique.

De l’érotisme crû, cruel et subtil.

Tel est le coktail délicieux de la phrase de Michon. Comme j’aime les auteurs qui nous font goûter ce qu’ils ont mangé, sentir ce qu’ils ont espéré, touché et pénétré ce qu’ils ont désiré. Lire devient une électrisation des sens et une joie de l’esprit heureux d’apprécier la moindre aspérité des peaux.

La lecture devient calme, froide aussi dans la banalité des jours de cet instituteur aux prises entre l’ennui et le désir. Hélène, Yvonne habite le roman de leur féminité archaïque, vitale. D’aucun y verront une fable en malaise de ce désir qui transforme la femme en fantasme, en objet d’adoration animale.

Il ne se passe rien et tout arrive. C’est beau et simple, inimitable, c’est le génie de Pierre Michon.

dalie Farah

"Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. C’était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément par leur corps, c’était une bête ; si les reines ont une façon à elles de porter sur la colonne d’un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c’était la reine. Ce visage royal était nu comme un ventre : là-dedans les yeux très clairs qu’ont miraculeusement des brunes à peau blanche, cette blondeur secrète sous le poil corbeau, cette énigme que rien, si d’aventure vous possédez ces femmes, ni les robes soulevées, ni les cris, ne dénoue. Elle avait entre trente et quarante ans. Tout en elle était connaissance du plaisir, celui sans doute qu’on entend d’habitude, mais celui aussi qu’elle dispensait à tous, à elle-même, à rien quand elle était seule et ne se voyait plus, seulement en posant là le gras de ses doigts, en tournant un peu la tête et alors les sequins d’or qu’elle avait aux oreilles touchaient sa joue, en vous regardant ou en regardant ailleurs, et ce plaisir était vif comme une plaie ; elle savait cela ; elle portait cela avec vaillance, avec passion. Allons, on ne peut en parler ; non, ça n’est pas né de l’argile : c’est comme le battement furieux de milliers d’ailes en tempête et il n’y a pas pourtant de matière plus comble, plus lourde, plus enferrée dans son poids. Le poids de ce mi-corps somme toute gracile en dépit de l’évasement des seins était considérable. Des paquets de cigarettes bien rangés derrière elle l’auréolaient. Je ne voyais pas sa jupe ; c’était pourtant là derrière le comptoir, démesuré, insoulevable."

La Grande Beune – Pierre Michon