La raison du loup et de l’agneau.

La raison du loup et de l’agneau.

La raison du loup et de l’agneau.

La raison du loup et de l’agneau

Je sais que chaque jour apporte une apocalypse nouvelle, que nous balbutions face au mal commis, soudain analphabètes des chaînes de violences. Je sais que nous recherchons l’occasion d’un rire et de l’amnésie, le corps ployant devant notre quotidien. Ce qui est lointain nous semble proche le temps d’un cri et s’éloigne quand une contrariété, un plaisir, un travail, un ami, un bus, une chaussure, l’odeur d’un plat aimé viennent nous effleurer. Et c’est normal, vital. Qui pourrait vivre dans l’affliction permanente ?

Perfusée aux réseaux, aux éditos, aux communiqués, notre condition limitée dans le marasme mondialisé nous élève et nous abat. Nous tentons des conjectures, des causalités, si on frappe une femme juive après un match c’est qu’un drapeau a été décroché et des slogans racistes prononcés. Si l’on tue des enfants, c’est qu’il y avait possibilité d’un terroriste caché et si jamais. Nous nous donnons injonction et nous faisons injonction à la réaction : toi l’artiste n’as-tu rien dit ? Toi le démocrate, n’as-tu pas tweeté ? Si tu ne l’as fait, Qui te rend si hardi de troubler mon bavardage ?

La litanie de la vengeance prospère a proportion de nos indignations confuses. Aucun fait n’y fait. « Tu me troubles, Et je sais que de moi tu médis l’an passé. »

Si l’on tente la factualité, l’évidence : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. »

On ne s’en sort pas.

Adieu, faits, Histoire et vérité.

Nous avons, bon an, mal an, intégré les narratifs et les causalités des fascistes religieux et politiques. L’impunité des uns et des autres nous ont conditionnés à la sainteté de la vengeance, nous ont appris à confondre massacre, lynchage avec légitimité de lutte et de défense. Ce qui s’explique (et doit s’expliquer) ne se légitime pas.

Chercher la symétrie dans les conflits armés de notre époque serait un mensonge, si l’on compte les morts et observe le rapport de force, il faut une immense mauvaise foi pour établir un vis-à-vis.

« Car vous ne m’épargnez guère, Vous, vos élus et vos amis. On me l’a dit : il faut que je me venge. »

Comme nous avons intégré les narratifs capitalistes de performance, de mérite, nous sommes pris dans le piège des fascistes (qui ne cessent jamais d’être capitalistes)  qui nous demandent de choisir un camp, ils promettent la justice, ils jurent qu’ils sont dans le camps du bien et du juste, jurent de la même façon à la sainteté nécessaire de leur combat. La cruauté du loup n’est pas tant de manger l’agneau mais de faire croire à la raison pour le manger, faire croire que ce n’est pas sa force de loup (et sa faim, et son pouvoir, et son désir de domination, de conquête, de terres, de minerais, d’énergies fossiles, d’influence….) qui lui donne des droits mais celle du raisonnement.

Les pays en sang ne manquent pas, les mains sales non plus, la question que je me pose en lisant les posts et les indignations c’est la diabolisation de la miséricorde, cette sensibilité au malheur et à la possibilité du pardon. A chaque fois que nous chassons la miséricorde en nous, le fasciste apprécie, le fondamentaliste aussi, ils nous accueillent à bras ouverts et nous promettent chacun une apocalypse sélective, celle du loup. Alors, tout peut suivre son cours, nos colères (sélectives) indignées nourrissent un ressentiment nouveau, produisent des violences nouvelles, créent des éditos, des coups de gueules, des coups dans la gueule et surtout donnent raison aux fascistes. Nous nous faisons tour à tour loup et agneau convaincus et bêtes d’une raison qui est pourtant toujours celle du plus fort.

dalie Farah