L’amour de François Bégaudeau, un roman calme et simple comme l’amour.
11 juillet 2023 2023-08-20 11:57L’amour de François Bégaudeau, un roman calme et simple comme l’amour.
L’amour de François Bégaudeau, un roman calme et simple comme l’amour.
L’amour de François Bégaudeau, un roman calme et simple comme l’amour. A paraître, le 17 août 2023
Ce dernier né est le petit dernier qui était déjà là depuis Jouer Juste, premier roman de Bégaudeau. Tout le monde a pu le voir caché dans La Blessure, la vraie. Faudrait être miro pour pas l’avoir aperçu dans Vers la douceur. Bien sûr, il est là aussi dans Au début. En fait, il piétine derrière la porte de chaque texte, dans chacun des romans de François Bégaudeau, je saurais le démontrer, L’amour est là depuis toujours.
L’amour raconte l’amour.
Je n’ai lu la quatrième de couverture qu’après avoir fini le livre. J’ai bien fait. Pour ce livre, il faudrait ne rien dire. Il faudrait laisser une horloge faire son métier et entendre son souffle. Lire des vies et en écouter le battement, voilà ce que le roman fait le mieux.
L’économie du titre (un article, un nom) et du livre (90 pages) est une économie constitutive, analytique. On sera bref. On sera net. Si l’amour a dégagé beaucoup de produits culturels, la plupart mentent sur ce qu’il est ; normal, un produit n’est pas là pour la vérité, mais pour être vendu, donc acheté. On a donné à l’amour des lettres sans noblesse qui font croire qu’il doit ressembler à une guerre en pire. Souvent, en littérature quand on parle d’amour, on n’en parle pas. Il est question de passion, de troubles, de crises, de hurlement, de spasmes…l’amour ressemble à une maladie dont le remède serait une maladie plus grave : la douleur, le chagrin d’amour.
L’amour de François Bégaudeau écrit l’amour juste et juste l’amour.
L’horizon d’attente est d’abord de découvrir qui va aimer qui. L’incipit est un petit modèle d’écriture économe et d’ironie douce. François Bégaudeau toujours à l’oblique – le seul angle valable de l’art – vient nous dire attention, les gens se rencontrent, pas les yeux. L’ironie métatextuelle est discrète, presque désuète, elle vient caresser les personnages et le lecteur d’une douceur étonnante. Incipit :
« La première fois que Jeanne voit Pietro c’est au gymnase où sa mère fait le ménage. »
La figure qui consiste à rapprocher des mots de sonorités voisines s’appelle une paronomase. Ainsi, cette première fois met en écho « gymnase » et « ménage ». Est-ce une scène de rencontre comme la littérature aime les raconter : une évidence des yeux qui se rencontrent ? La suite de l’incipit décrit un émoi, celui de Jeanne qui se fait un complément de salaire (20 francs) en plus de son travail dans un hôtel. Jeanne observe Pietro, le suit, lui écrit mais sent bien. « Entre eux ça ne collera jamais. Elle n’aime pas le Ricard et rien ne dit qu’il aime les balcons fleuris. »
On fera peut-être le lien avec Michon, avec l’écriture des minuscules, mais je crois que ce n’est pas [que] cela. Il faudrait aller du côté de Pialat, voire de Verlaine – dans l’écriture de l’ordinaire – ou de Rimbaud, – dans une mystique matérielle de l’ordinaire – et plus simplement du côté de Bégaudeau. La minutie du récit se fait sans force, parce que oui, le romancier Bégaudeau est doux, la phrase se pose toujours comme un nuage, c’est un peu bête à dire comme ça, mais c’est vrai.
La vie des Moreau est une vie. Juste une vie. Alors c’est poignant. Nous naissons, nous aimons, nous mourrons. La grandeur de la condition humaine ne se révèle que dans l’ordinaire. François Bégaudeau raconte un amour qui naît au moment où Pompidou devient président. Les années 70 accompagnent un homme et une femme qui s’accompagnent jusqu’à la fin ; le lecteur les accompagne au gré des événements qui n’en sont pas tant que ça, des achats d’objets et de l’évolution technique. La métonymie de ces vies se révèlent dans la mutation des matières, des transports et de la téléphonie, le temps se dépose aussi simplement qu’il s’écoule.
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rare. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastiques, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. »
L’art de l’ellipse et de la brièveté
C’est sans doute la figure majeure de la poéticité de ce roman. L’ellipse narrative est une pratique difficile. De nos jours, on va rendre elliptique le simple et grossir le dramatique. Selon le schéma actanciel ou les arcs narratifs des séries, plus c’est gros plus ça passe. La frénésie dramatique sature les récits qui forcent le vraisemblable à devenir honteux et l’invraisemblable désirable.
Bien sûr, le roman fait autre chose.
L’amour c’est le temps qu’on passe à s’aimer ; l’écrire demande une délicatesse tranquille propre au style de Bégaudeau dans ce récit. L’empreinte des années dans L’amour n’est pas une dramaturgie, c’est un état de faits, une mélancolique et juste factualité qui s’incarne dans les lieux, les objets, les actes, énumérés, rendus, donnés, simplement énoncés, sans commentaire, sans jugement.
« Il fait mine de ne pas la reconnaître. Ou bien il ne l’a pas reconnue. Le visage de jeanne ne lui dit rien et ce n’est pas réciproque. »
Dans un jeu de discours intérieur et de narration extérieure, François Bégaudeau montre que l’amour est souvent une histoire qu’on (se) raconte. Jeanne est douée en ce domaine, elle lit des magazines, tient un journal, madame Bovary n’existe pas, Jeanne rêvasse tranquillement à l’amour. Mais lorsqu’il arrive, il est là, se manifeste et se vit simplement.
Il y a un premier passage qui montre cet art elliptique où le non-dit dit tout. Le premier baiser des (futurs) Moreau. Jeanne propose au garçon qui l’accompagne la moitié de son anorak.
« Joueuse, elle libère une manche pour qu’il y glisse son bras, ça les met dans une posture rigolote, ils en rajoutent exprès. Boule a mis du temps à remonter la balle échouée dans un fossé. Il l recrache aux pieds de son maître et attend la suite des opérations. La balle reste inerte. Boule grogne d’impatience. Jacques décolle ses lèvres de celles de Jeanne pour lui dire de la fermer. Il ramasse la balle et la lance aussi loin que possible. Jusqu’en Chine ce serait parfait. Ils se rappellent qu’ils ont chacun un bras dans une manche d’anorak. Ils se dépêtrent comme ils peuvent. »
L’ellipse du baiser dit la vérité : la situation est l’amour qui naît, les bras dans l’anorak disent plus de l’amour qu’un baiser, celui-ci est éludé car il n’apporte rien, il met en acte ce qui est déjà là. L’on observe les lèvres qui se décollent. Cette scène émeut pour cela, il ne se passe rien d’autre que ce qui se passe : la maladresse du début de l’amour.
Un autre passage. Jeanne et Jacques sont dans une chambre.
« – T’es pas vierge au moins
– Ben non quand même pas.
Nus, elle demande s’il a ce qu’il faut. Il dit qu’il fera attention. Elle dit pas de blague hein ? Le moment venu il se retire pour éjaculer dans sa main.
Pendant qu’il s’essuie au lavabo, Jeanne renfile sa culotte de coton. Elle doit reprendre son poste. Ils s’aident pour laisser la chambre dans l’état où ils l’ont trouvée. »
Deux lignes de dialogue direct, retour paragraphe, discours indirect, discours indirect libre. Ellipse. Gestes d’amour et matérialité des sens : l’eau, le coton ; et la remise en état de la chambre à quatre mains. L’amour.
L’idéalisme est ennemi de l’amour et ce roman de Bégaudeau le dit sans rien argumenter. « Il y a des choses comme ça, plus on en sait, plus c’est mystérieux. » Telle est la complicité des agacements mutuels, des ronflements, des manies, des tocades et même la complicité dans la triche de la fidélité. Le drame c’est pas pour les (les vrais) amoureux.
Quelle est la langue de L’amour ?
En filigrane, François Bégaudeau joue aussi l’intertextualité avec les livres (et les films) qui racontent tellement mal l’amour. Il y a ce conte viking où l’invraisemblance est mise à mal par le réalisme de ceux qui l’écoutent. Il y a aussi un passage où le couple va au cinéma pour fêter leur anniversaire de mariage.
« Quand ils arrivent, la séance de Trois hommes et un couffin est complète, ils se rabattent sur un film où Robert Redford est chasseur de bêtes sauvages et séduit une Danoise riche, venue au Kenya pour épouser un baron mais maintenant elle vacille, elle tremblote, elle soupire, elle suffoque d’indécision. Quand Robert la fait monter sans son biplace, ils survolent des étendues gigantesques que magnifient d’immanquables troupeaux de bêtes de la savane. C’est là-haut dans le ciel que la baronne tombe définitivement amoureuse. Le jour où le chasseur se tue dans un accident rien moins que tragique, la baronne croit mourir de désespoir comme les violons l’indiquent. »
J’ai ri. Dans cette mise en abîme où les personnages de L’amour vont voir un film d’amour, le lecteur perçoit la fausseté esthétique des mots de l’amour quand ils couinent comme des violons de cinéma et alignent des clichés visuels grandiloquents. L’hyperbole est ennemie de l’amour et peut-être même du roman.
Car François Bégaudeau s’applique à un tressage stylistique complexe imperceptible à l’œil nu : il reconstitue un décor, une époque et des vies le plus exactement possible. Il fait le choix d’un lexique et d’expressions qui appartiennent à leur temps, la langue est le naturalisme d’une époque. Sans imiter, sans carton-pâte, sans perruque ni combi fluo, il peint les gens dans leur jus linguistique.
Jacques au sujet de l’armée : « Et puis il pourra passer le permis, là-bas ils lui chieront pas une pendule pour un oubli de priorité. Il utilise cette expression sans conviction, car personne n’a jamais chié une pendule. Ou alors une pendulette, plaisante Jeanne. Une montre, enchérit Jacques. »
Gérard – le père de Jacques : « Il ne veut pas de bagarre au mariage de son fils, c’est clair, net et précis. »
L’amour de la vie.
Être vivant n’est pas une alternative, c’est le seul possible. Bégaudeau s’acharne pareil à l’écrire. Dans ce roman, les mots doux et les mots tendres sont aussi ceux de l’auteur. C’est un ami du vivant, un ami des bêtes aussi. J’ai déjà pleuré sur la mort d’une hyène raconté par Bégaudeau, celle d’un crabe et là, celle d’un chien pas moins importante que celle d’un homme, on doit le reconnaître.
L’amour des Moreau est maladroit, bon, imparfait, fini comme l’humanité. François Bégaudeau raconte les beaux-parents, la noce, l’emménagement, le travail, leur travail, les enterrements, la grossesse, la fatigue et la vieillesse, j’ai fini la seconde moitié du livre les yeux humides, on n’aime pas quitter les gens qu’on aime. Cette douceur en riens de la vie qui ne veut pas dire que rien ne se passe mais que tout ce qui se passe ne fait que passer, est bouleversante à qui saura la lire et la recevoir.
Que viendra faire L’amour dans nos vies ? Être là. En toute beauté. Il ne faut pas en demander plus à l’amour, il faut le lire et le vivre.
dalie Farah
Romans de François Bégaudeau
- Jouer juste, éditions Verticales, 2003.
- Dans la diagonale, éditions Verticales, 2005
- Un démocrate : Mick Jagger 1960-1969, Naïve, 2005
- Entre les murs, Éditions Verticales, 2006
- Fin de l’histoire, Éditions Verticales, 2007
- Collaboration à Une chic fille, ouvrage collectif, Naïve Records, 2008
- Vers la douceur, éditions Verticales, 2009
- La Blessure, la vraie, éditions Verticales, 2011
- Au début, éditions Alma, 2012
- Deux Singes ou ma vie politique, éditions Verticales, 2013
- Le Moindre Mal, éditions Raconter la vie, 2014,
- La Politesse, éditions Verticales, 2015
- Molécules, éditions Verticales, 2016
- En guerre, éditions Verticales, 2018
- Un enlèvement, éditions Verticales, 2020
- Ma cruauté, éditions Verticales, 2022