L’anneau de Gygès ou le Patriarcat criminogène.
17 septembre 2024 2024-09-17 11:29L’anneau de Gygès ou le Patriarcat criminogène.
L’anneau de Gygès ou le Patriarcat criminogène.
L’anneau de Gygès ou le Patriarcat criminogène.
Les tribunes et les prises de paroles se multiplient depuis le début du procès de Dominique Pélicot, au même moment, les actes privés de l’Abbé Pierre viennent briser son image de Saint, Tariq Ramadan est condamné à Genève.
Si l’on contemple de près comme de loin ces faits criminels, il y a un point commun : la liste.
Liste des accusés, 50, 70, 83 violeurs pour une seule femme.
Liste de victimes, sept plaintes et cinq mises en examen pour un homme, vingt quatre pour un autre homme.
Et la surprise.
Toujours cette surprise. (Qui agace)
Qui agace parce que quand même ça fait pas un peu des décennies que les femmes dénoncent la guerre qui leur est faite ?
Qui m’agace.
Parce que les systèmes de défense face au réel sont les mêmes : le déni, les oui. Mais non, mais franchement, et puis on sait pas etc…
Comment est-ce possible ? Parce qu’une culture patriarcale accorde un anneau spécifique aux hommes, l’anneau de Gygès.
Cette histoire, nous pouvons la retrouver dans La République de Platon. On raconte qu’un honnête berger aurait trouvé un anneau d’or, quand il le tourne, Gygès devient invisible. Cette invisibilité lui donne un pouvoir nouveau. Il s’en sert pour prendre la place du Roi et épouser la reine. Voilà Gygès devenu roi de Lydie.
Cette invisibilité est l’impunité patriarcale.
Le texte de Platon explique : « ceux qui pratiquent la justice agissent par impuissance de commettre l’injustice ». Gygès, saisi d’une nouvelle puissance, n’a pas pu contenir ses pulsions destructives et de domination, il était certain d’en réchapper. Ce n’était pas un saint avant, c’est juste que ses actes étaient visibles, donc potentiellement punissables. Ainsi, s’il existe des hommes justes, ils le seraient par impuissance à commettre le mal.
Le Patriarcat permet ça, le Patriarcat empêche la justice en soi, car il légitime la domination, le rapport de force favorable à la force, il offre le silence, l’invisibilité. Voilà pourquoi on n’a pas fini de dresser des listes, pas fini de parler, condamner, juger, de découvrir les actes d’un producteur, d’un patron, d’un père, d’un pompier, d’un prof, d’un imam, d’un prêtre, d’un fils, d’un frère, d’un ami, d’un amoureux.
L’impunité est liée à l’anneau du pouvoir, à la force de crédulité des agresseurs et à la sidération incrédule des victimes.
Alors oui, désolée, all men.
Dominique Pélicot portait l’anneau grâce à la soumission chimique, cet anneau il l’offrait à d’autres, il partageait sa toute-puissance pour lui donner encore plus d’ampleur. Puissant face à au corps inerte féminin, il se sentait surpuissant à offrir aux hommes un corps endormi. Il fallait la nuit et le sommeil.
Ils choisissent souvent la nuit et le sommeil pour attaquer les corps d’enfants, de filles, de femmes ; ils choisissent l’anneau de Gygès, l’invisibilité et l’impunité.
Alors oui, désolée, all men.
Tariq Ramadan et l’Abbé Pierre ont usé de leur aura, de leur sainteté religieuse, ils se sont appuyés sur la confiance des femmes, femmes forcément séduites et rassurées par la bonne réputation sociale lumineuse.
Il fallait la lumière et les honneurs. Ils choisissent souvent la lumière de la notoriété et le privilège de les rencontrer pour attaquer des corps de femmes, de filles ; ils choisissent l’invisibilité de la lumière qui aveugle, l’impunité.
Alors oui, désolée, all men.
Et ces autres, tous ces autres qui aiment aussi les listes, pour qui les femmes sont des objets dont on doit contraindre la peau et les orifices par la ruse ou la force ; ceux-là aussi courent après l’anneau de Gygès.
All men.
Ne pas violer n’est pas du puritanisme.
La violence est toujours possible et le Patriarcat est un terreau fécond, il est criminogène, il fabrique des anneaux par milliers. Dès lors que l’impunité est brisée, la panique mime la surprise, hausse les épaules et accuse les réseaux sociaux, le féminisme et la presse de gauche. Bullshit.
Il n’y a pas de nuances à l’impunité, pas de nuances à l’intégrité d’un corps, pas de nuances à la loi morale qui veut qu’un corps consente et ne subisse pas, pas de nuances à affirmer qu’un corps de femme est inaliénable ; c’est à elle de désirer pour elle-même.
Ne pas violer n’est pas du puritanisme, être juste demande un effort, la bonté des êtres est possible, elle demande un engagement, une résistance, c’est une nécessité morale qui ne pourra s’obtenir que par la lutte.
Contre soi.
Contre le désir d’impunité.
Contre le Patriarcat.
dalie Farah