L’argent de la vieille de Luigi Comencini

L’argent de la vieille de Luigi Comencini

L’argent de la vieille de Luigi Comencini

J’ai vu l’argent de la vieille et j’ai adoré.

Le film a mon âge, il est né en 1973 ; lui ne sort pas d’un utérus berbère mais d’un corps-esprit italien. Ce film est une merveille d’humour -noir- ; de réalisme – lumineux – ; de cruauté – sociale. J’ai adoré et mes gosses aussi, on a hurlé pour que Péppino et Antonia remportent des millions face à la Vieille – sans nom – interprétée par l’atroce et glorieuse Bette Davis.

Voilà une comédie comme je les aime, faut-il qu’elle ait mon âge – pas la vieille – l’histoire, pour que je puisse trouver tout ce que j’aime dans l’art ?

Des personnages peints sans complaisance dans leur beauté et leur médiocrité que ce soient la mesquinerie esclave des pauvres du Bidonville, espérant que la lutte sociale se résume à un jeu de hasard ou la fragilité de l’américaine, qui persiste après une attaque cardiaque, I want to play cards…

L’angélisme quitte le terrain pour laisser place à une histoire tendue dans un suspens social et comique incroyable : écoutez donc.

Une femme milliardaire arrive à Rome où elle loue une villa qui jouxte un quartier très populaire, où les routes sont de terre, où la débrouille est de mise, où l’emprunt et la dette sont la seule économie possible. La vieille est riche, la vieille est seule, mais la vieille a un plaisir, unique : jouer aux cartes. Elle joue à un seul jeu : la scopa. Elle ne joue que pour gagner. Dans ce face à face économique, la vieille femme donne un million à Bénito et Antonia au début de la partie, trop pauvres pour miser, elle leur donne leur mise pour la reprendre. Un million ferait leur bonheur au moins provisoire, paierait quelques dettes et peut-être ferait que leurs trois enfants n’aient pas à travailler ; comme ce môme de six ans qui gagne quelques lires en aidant son oncle aux pompes funèbres, le voilà en train de lustrer les cercueils et raser les cadavres.

Benito et Antonia sont comme tous ces habitants en quête perpétuelle de survie et en illusion d’un ruissellement qui viendrait équilibrer l’inégalité du faste d’une villa en accointance sordide avec les tôles du quartier pauvre. Le quotidien est une lutte sur les marchés financiers pour la Vieille et sur le sol boueux pour les autres.

Leur agitation murmure.

Trouver l’argent. Eviter l’humiliation. Trouver l’argent. Protéger les enfants. Les nourrir. Pas mendier. Mendier. Demander de l’argent. Trouver l’argent. Où est l’argent ? Accepter l’humiliation. Faut manger. Pas blesser le corps, le corps blessé ne travaille pas, il doit quand même trouver l’argent. Pas faire la pute. Pas demander. Faire la pute.

Où trouver l’argent ?

Dans ce rapport de force, l’histoire peut apparaître comme une fable sociale, il n’en est rien, c’est vrai, tellement vrai, tellement actuel et tellement éternel, qu’entre deux rires, il nous vient les yeux ouverts et humides, avec un désir secret, radical, celui de Cléopâtre, la fille aînée de Bénito et Antonia ; trouver le moyen de ne plus rêver sa vie, et rompre cette attente, cette dépendance par une lucidité politique qui ne pourra se passer d’une certaine cruauté.

dalie Farah