Le Doigt

Le Doigt par Dalie Farah

Littérature Française - Parution : 3 Février 2021

« Le geste est né, une évidence réflexe. Elle lève la main droite, un poing, déplie le doigt, le majeur, et elle brandit. Fort et haut. Raide. Elle bande. De son bras et de son doigt. D’honneur. »

« Elle déteste qu’on lui fasse peur, surtout qu’un homme lui fasse peur. L’homme sort de sa voiture, hurle : « Recommence ». Elle recommence. Il la gifle brutalement. Ce n’est pas la première fois que la femme rencontre la violence. Pourquoi un tel geste ce matin-là, devant le lycée où elle enseigne ? Quelles en seront les conséquences ? »

Ces deux minutes figent le temps et la vie, un point de saturation a été atteint. Pourquoi la violence encore et toujours dans la vie de cette femme ? A qui s’adresse ce doigt d’honneur ?
Il est question d’une prof qui a reçu des coups, d’une institution qui en donne beaucoup mais aussi d’une enquête sur soi : ce geste réprouvé socialement va révéler une violence ancienne et intime.
Parler, avouer est une étape, mais l’émotion est insuffisante pour une réelle émancipation, la littérature est un lieu de pensée, créateur et libérateur.
Penser la violence, la peur, le féminin, penser la famille, l’école, penser la vulnérabilité du corps enfantin abîmé. Ecrire pour comprendre la fabrique de soi, de ses soumissions pour s’en délester, abandonner les impostures, celles qui effraient, celles qui rassurent et enfin trouver sa joie.
L’esprit de sérieux et la déploration sont détournés au profit d’un registre qui va chercher les marges du rire et des larmes.
Le livre veut aussi (et surtout) déplier la genéalogie d’un geste dans une quête littéraire : trouver une forme, une langue, une composition pour dire le réel. Théâtre, essai, roman, récit, j’ai pris tout ce dont j’avais besoin pour élucider avec une jubilation têtue ce qui m’échappe et m’écrase.
Je veux la littérature parce que je l’aime, alors il me faut lever ce doigt non pour l’honneur mais pour la dignité à être.

Dalie Farah

Dalie FARAH a Paris le 18 décembre 2018

© Philippe Matsas

Le Doigt

16 janvier 2018, 7h28 : il fait encore nuit devant le lycée, en périphérie d’une ville auvergnate. Emmitouflée dans sa doudoune, la prof se repasse le plan de son cours de philo et traverse la rue en dehors des passages piétons. Un klaxon la surprend, elle ne se retourne pas, fait un doigt d’honneur. La voiture se gare, un homme en sort précipitamment, hurle, la défie : « Recommence ! » Face à lui, nouveau doigt d’honneur. Il la gifle.
Ce n’est pas la première fois qu’elle rencontre la violence.
Battue dans son enfance, devenue adulte elle a été rouée de coups par un de ses élèves et plus tard insultée par un autre. Pourquoi ? Quel lien existe-t-il entre son corps et la brutalité ? A qui était destiné ce doigt ? Ce roman est une enquête sur deux minutes qui brisent sa vie. Parmi les profs, l’événement perturbe. Qui est coupable de la gifle ? Pourquoi a-t-elle pris le risque de ce second doigt d’honneur ?
En alternant dialogue en salle des profs et récits des faits, l’écriture tendue de ce Hors les murs de l’éducation nationale, interroge la question de l’origine de la violence. Celle qu’on subit, celle qu’on exerce, celle qu’on désire, celle qui arrive inévitablement, quand on est femme, quand on est arabe, quand on est prof.
Entre burlesque et lucidité profonde, Le doigt retrace à un rythme haletant les événements qui permettent de comprendre cette « victime en récidive », au travers de la comédie sociale des supérieurs, des médecins et de la justice qui sans cesse minimisent la violence.