L’enfant réparé de Grégoire Delacourt- feel alive

L’enfant réparé de Grégoire Delacourt- feel alive

L’enfant réparé de Grégoire Delacourt- feel alive

L’enfant réparé de Grégoire Delacourt- feel alive

Je ne l’ai jamais rencontré mais lui m’a lue, sans me lire vraiment, ou sans le dire car son livre à lui aussi s’écrivait. Je m’explique. Grégoire Delacourt vient de publier L’enfant réparé chez Grasset, je viens de le terminer et je découvre dans la dédicace qu’il a la même éditrice que moi. Nous réunissons nous tous autour de Juliette Joste pour tenter de ne pas pleurer nos enfances et arriver à les écrire ?

Grégoire Delacourt m’avait régalée comme des milliers d’autres avec La liste de mes envies, mais je n’avais pas donné suite ; le livre fait « du bien » comme il l’écrit lui-même, mais j’avoue que je ne lis pas beaucoup de livres au feeling good, j’ai pas envie d’être consolée de vivre, j’aime trop la vie.

L’Enfant réparé est le récit mélancolique d’une reconstitution, depuis le corps symptôme de l’adulte vers le souvenir d’enfance, depuis la manière d’aimer de l’adulte, ses visions de mort et de douleur qu’il ne comprend pas jusqu’au socle primordial, l’événement souche. Accoucher de soi est une thérapie, mais je crois que ce livre fait beaucoup beaucoup plus. (et autre chose ?)

L’enfant réparé n’est pas un livre « feel good » mais un « feel alive »

Le livre se lit d’une traite, comme un écrit à la fois intime et en dialogue d’enfance, c’est Bachelard qui le dit : ainsi font les récits d’enfance, ils dialoguent avec toutes les autres. Alors vous aimerez ce petit bijou d’écriture. D’une grande finesse et dans une composition subtile, le « je » écrivain et écrivant se croisent et rencontrent les doubles personnages. Texte réflexif aussi sur la question de la part de soi dans l’écriture, il fait voler tous ses blablas qui me fatiguent sur le « c’est vrai ou pas » qui ne servent à rien. Il est question d’amour, de mariage, de vitesse, de père et de mère, d’amours de père, d’amours de mère ; d’oliviers dans le Sud et de frites belges, et de nuits, cauchemars, sommeil. Grégoire raconte aussi la thérapie qui mène l’enquête, celle qui cherche les jeux de mots et aideront à trouver la littérature.

L’Enfant réparé raconte une de ces vies que j’évoque à la fin du Doigt- mon second roman : celle de ces légions de « créatures infimes sans mérite » ; dans une sincérité véritable et une écriture plus que juste Grégoire Delacourt raconte l’enfant qui a fait l’homme mais aussi l’écrivain qui a essayé de s’écrire dans plusieurs de ces livres, des livres qui ne font pas « du bien » comme une chouquette sucre/chocolat, non mieux que ça, un de ces livres qui te font te lever pour vivre, lever pour écrire, lever pour respirer, lever pour dire merci, lever pour dire,

tu as bien fait Grégoire.

Je ne te connais pas, mais je veux te connaitre, peut-être Juliette saura nous faire nous rencontrer, nos livres se connaissent déjà. J’ai des questions.

 Tu n’as pas lu l’histoire du corps enfantin dans Le Doigt ? Ta critique n’en parle pas, tu ne dis rien non plus de cette enquête sur soi qui est en creux de ce geste et du cadre de l’éducation nationale ? J’en suis étonnée, alors que tant de phrases font écho ? Moi j’ai retrouvé mon livre dans le tien, parce qu’évidemment, le corps d’enfant ravagé est le même, le même à échapper, le même à se faire infime parce que la survie le désire. Surtout la plume écrivaine qui cherche à résoudre plutôt qu’à se venger a toutes les chances de rencontrer la mère littérature.

Ton livre va rejoindre dans ma bibliothèque celle des romans autobiographiques que j’aime, oui je sais, le mot « roman »  est une étiquette marketing qui a sa définition marketing, je m’en fous Grégoire : tu as écrit à la suite d’autres de ces romans qui ne sont pas là pour épandre mais vivifier, j’aurais retiré (et gardé aussi) les deux dernières pages ; elles m’émeuvent comme ces derniers mots qu’on jette en vrac avant de quitter quelqu’un qu’on aime. Je crois que nous avons tous à mener l’enquête sur les absences et silences de nos corps et qu’il n’y a aucun livre qui ne porte parole ou ne rende justice, pas en littérature. Tu n’as pas utilisé ces mots dévalués du mal subi, ces mots qui, médiatisés, sonnent (désormais) comme des étiquettes de grandes surfaces. Tu vois ce que je veux dire, tu as été publiciste. Les questions que tu poses sur ton père, je crois que j’ai caché les réponses quelque part dans le Doigt, les as-tu vues ?

On est aveugle à ses vérités, il n’y a qu’Œdipe pour se crever les yeux après avoir su. Pauvre gosse devenu roi d’une contrefaçon du destin.

Pardon d’échanger avec toi en dialogue arrogant d’équité, mais l’on te dira que je ne sais pas aimer autrement. A te lire, je sais que tu ne m’en voudras pas. Une chose aussi, je ne suis pas d’accord avec ton titre (et je suis d’accord aussi) , je ne crois pas que l’on répare l’enfance, qu’il faille réparer les enfants, je ne crois pas à ça, je suis une saleté de vitaliste et je crois que la beauté à être est inaltérable ; tu as toujours été beau et tu ne le savais pas. Moi non plus. Mais je comprends ton titre, provisoire, comme le sont tous nos livres qui arrivent, conclusions partielles d’une vie qui ne peut se dire tout entière en un seul tenant ; on n’est pas des cailloux. Cette écriture pudique et vraie, sans ironie, factuelle tend vers cette écriture plate d’Annie Ernaux.

C’est un grand livre de vérité, je voudrais qu’on te lise, pour la lumière que tu déposes avec moi et des milliers d’autres en mémoire des enfances abîmées mais surtout en joie de la possible vie des vivants.

Dalie Farah