L’île de béton, un conte tragique contemporain par la Cie la Transversale

L’île de béton, un conte tragique contemporain par la Cie la Transversale

L’île de béton, un conte tragique contemporain par la Cie la Transversale

Un conte tragique contemporain au cœur des années 70

Ce soir, VIP, séance de princesse, je suis avec mon beau-fils aux premières loges à la générale de la Cie Transversale. On se sent toujours un peu con assis dans un fauteuil à contempler un décor mais c’est assez émouvant, cet avant-scène just before le saut dans la fiction.

Ça circule, ça se met en place, on allume, on éteint, on teste, ça va bientôt commencer ou peut-être est-ce déjà le début, chemise, costume, chaussures, mouvement, attention, est-ce que l’enceinte Bluetooth est connectée ?

Non, faut faire attention à la batterie.

Et là ?

ça commence ?

Oui, c’est maintenant. Ça commence et deux heures plus tard c’est déjà fini.

Une robinsonnade moderne

Dans cette mise en scène-  adaptée du roman de James Graham Ballard – L’île de béton raconte l’histoire d’un Robinson en costard, architecte échoué dans un terrain vague après un accident de voiture. Sur cette île, il affronte la solitude avant de croiser un homme et une femme. Le trio s’entraide et s’affronte, compose sa société où les liens de solidarités croisent ceux de la domination.

Robert Maitland ne peut pas s’échapper, retrouver sa femme, sa maîtresse et son fils, il est blessé et accepte l’aide de Jane et de Proctor. Entourés par un remblai infranchissable et plusieurs autoroutes, ils vivent là dans une trinité recomposée. Jane connaît un passage secret, elle rapporte des vivres et prend soin des deux hommes, Proctor, trapéziste blessé au crâne après une chute, semble frappé d’une divergence qui le transforme tantôt en brute, tantôt en poète oraculaire. Jane garde le secret de la sortie cachée, Proctor ne veut pas quitter cette île où il a son royaume et Maitland tente de comprendre ce qui lui arrive.

Une esthétique classique dans un décor baroque

La Cie transversale propose des tableaux vivants dont le graphisme tient de la BD punk ou de la série londonienne contemporaine, le décor XXL ne pèse pas dans cette mise en scène fluide où l’on voit Robert Maitland, interprété avec appétit par Yves Beauget, s’acclimater à l’île de béton et désirer la dominer. Jane, le personnage féminin et féministe, interprétée par Aleksandra de Cizancourt, s’échappe de l’île pour travailler, faire des manifestations, libre de ses mouvements mais aliénée par la violence sociale qu’elle subit. Proctor, interprété par Cédric Jonchière, est l’échalas underground imbécile et prophète.

Cette plongée dans les années 70 loin de nous enfermer dans un passéisme idéalisé nous propose de regarder dans le rétroviseur pour mieux nous voir dans un miroir.

Crise du logement, patriarcat, guerre, urbanisation immorale, ghettoïsation des faibles sociaux. La Robinsonnade, loin de figurer une nostalgie, permet de révéler une géographie sociale qui existe encore aujourd’hui : une ville est une somme d’îles, certaines enferment leurs habitants.

La solidarité de Proctor et Jane n’est pas la décence du pauvre, Robert Maitland est d’abord un pantin, un homme blessé, un homme que l’on peut détrousser et qui vient distraire le duo esseulé. Dans la dialectique tragique de la domination, le dominant n’est rien sans le dominé, la servitude est parfois volontaire. Pourtant, Maitland jouit d’user de la force contre Proctor, innocent idiot capable de se battre mais incapable de se défendre.

Le spectacle est un montage minutieux d’ombres et de lumières urbaines rythmées par les créations fabuleuses du vidéaste Eric Ménard. Chaque vidéo est une pièce esthétique en elle-même, et crée cette atmosphère sonore et visuelle d’une périphérie urbaine à la fois réaliste et dystopique. Rien n’est prétexte à, tout est choisi avec soin par des mains méticuleuses et généreuses.

Un spectacle populaire

Dans les grandes métropoles, la périphérie, c’est le non-lieu où vivent ceux qui ne comptent pas, L’île de béton de la Cie Transversale, leur offre un moment fugace où ils comptent.

On s’attache à chaque personnage, beau et laid, doux et cruel ; chacun offre des moments poétiques et absurdes – moment bouleversant face à la joie de Proctor heureux d’accomplir des figures sur son trapèze, moment émouvant de Jane, fumant une cigarette dans l’attente d’un client au bord de l’autoroute- moment beckettien quand Maitland est poussé sur son siège/caddie par Proctor à la recherche d’une échappée.

J’avoue ma tendresse pour Proctor la lune, Proctor le fou, pour Jane sainte Marie et Marie Madeleine, et même pour Robert l’ogre arrogant et Robert le gueux devenu.

La plongée documentaire, la fable futuriste, le poème urbain offrent une expérience théâtrale intense au cœur de cette prison insulaire, qu’on est pourtant un peu triste de quitter.

dalie Farah

Mise en Scène et Scénographie : Yves Beauget

Regard extérieur : Agnès Adam

Création lumière/vidéo : Eric Ménard 

Création musicale : Tristan de Cizancourt

Création son : remerciements à Animatis/ville d'Issoire - Mathieu Teixera

construction : Fabrice Coudert

Conception/réalisation carrosserie : Carlos Ramos et la classe de C.A.P

carrosserie de l'institut des métiers 63

formation circassienne : La Chaîne des Cirques.

avec

Maitland : Yves Beauget

Jane : Aleksandra de Cizancourt

Proctor : Cédric Jonchière