L’injustice d’une mort ne laisse de marbre que le mort lui-même.
2 juillet 2023 2023-07-02 11:43L’injustice d’une mort ne laisse de marbre que le mort lui-même.
L’injustice d’une mort ne laisse de marbre que le mort lui-même.
L’injustice d’une mort ne laisse de marbre que le mort lui-même.
Je me désole des livres brûlés, j’ai de la peine pour les efforts des communes qui ont essayé de créer des lieux sociaux, pleure aussi les fonctionnaires et agents qui mettent leur temps et leur foi à la constitution d’un bien commun. Je suis gênée pour les biens individuels de gens désargentés qui partent en fumée. Je suis terrifiée des victimes physiques possibles.
Pourtant, je ne suis pas du tout surprise. Mon Dieu, croyons-nous que les impunités et les injustices sociales ne peuvent se contenir que par Netflix et la Police ?
Si l’on observe l’étymologie, une émeute désigne un « Mouvement, agitation, soulèvement populaire qui explose en violence à l’occasion d’une situation tendue. Atmosphère, jour d’émeute. » L’histoire du mot nous renseigne sur sa nature. Tout vient du verbe « movere », qui produit étymologiquement au moins trois mots : « émotion » « motivation » et « mouvement ».
Emotion
Une émotion, de « ex » « movere », est donc un mouvement, un transport moral, un trouble qui va vers l’autre. L’émotion n’est pas un espace fermé, ni un ressenti, c’est un mouvement qui va vers l’autre.
Motivation
De même, issu de « movere » et adjoint d’un suffixe, « motivation » exprime la mobilité, la possible mobile, le mouvement vers. Un mouvement qui va vers.
Mouvement.
Un mouvement est un « Déplacement (d’un corps) par rapport à un point fixe de l’espace et à un moment déterminé. » Lorsqu’il s’applique à une collectivité, il devient le point commun de tous : un mouvement de troupes par exemple. S’il concerne un individu, le mot a souvent désigné l’émotion ressentie, qu’on retrouve par exemple dans l’expression « un mouvement de générosité ». C’est à partir de là que le mot mouvement peut renvoyer à une « Action collective qui vise à infléchir une situation sociale ou politique ». Une action qui va vers.
Voilà ce qui se passe, c’est chimique, physique, organique. Les corps se sont mis en mouvements depuis un mouvement qui en a donné un autre. Le déclencheur n’est pas mystérieux.
Mon dictionnaire préféré liste encore : « Émeute sanglante, terrible; l’émeute des faubourgs, des ouvriers; une émeute de paysans; affronter, combattre l’émeute; calmer, fomenter, provoquer, réprimer une émeute; être à la tête de l’émeute; l’émeute fermente, gronde, se déchaîne; tourner en émeute; tourner à l’émeute. » On remarquera qu’il y a souvent d’émeutes que d’ouvriers, que de paysans, que de gens. Les Bourgeois ne font jamais d’émeutes. Jamais. Ils ne se « soulèvent pas, n’explosent pas de violence à l’occasion d’une situation tendue. » En fait soyons exact : ils ne le font pas eux-mêmes.
Ces dernières années les « soulèvements » n’ont pas manqué, tous ont été l’occasion d’une répression féroce qui a donné des médailles de cancre à la France en matière du maintien de l’ordre. Se rappelle-t-on des éborgnés, mutilés, morts lors des divers mouvements passés ?
Il n’y a pas de fumée sans feu, sinon les bibliothèques ne brûleraient pas.
Il y a quelques jours j’écrivais : « Mais la justice ne peut faire plus que l’ensemble des pouvoirs publics. La révolte sociale est là, dans une autodestruction tragique, l’on brûle sa maison dans un geste expiatoire et vengeur. La peine et la révolte embrasent ce qui flambait sourdement, embrasent depuis les injustices que l’on méprise avec ceux qui la subissent. »
Ce qui brûle, brûlait déjà. Ecoutez les maires de France, écoutez les associations d’entraide, écoutez tout le maillage social, écoutez les greffiers, les avocats, les infirmiers, les profs, les médecins, les assistantes sociales, les éducateurs, les atsem, les chauffeurs de bus, les caissières, les couvreurs.
Toujours cette question, cette question bête, cette question qui vient toucher l’émotion et jamais la pensée : c’est mal ou c’est bien de se soulever ? Quand on se pose cette question, c’est trop tard. C’est une question stupide, elle est celle du constat, celle qui regarde les décombres d’une maison effondrée quand pendant des mois les locataires ont appelé à l’aide.
Est-ce que c’est mal ? Est-ce que c’est bien ? C’est trop tard. Le mouvement vers l’autre est en marche. Il va s’accomplir et s’arrêter quand il aura fini sa course.
La mort de Nahel n’est qu’une flammèche sur des braises sociales dont parlent tous les acteurs sociaux, tous les chercheurs en sociologie. Mais on n’en veut pas, la sociologie excuse hein ? Continuons d’être bêtes. Continuons de parler de « victimisation », continuons le racisme de classe, continuons à être cons et confus.
Bien sûr je pleure devant les bibliothèques cramées, j’adore les livres, j’adore littéralement les livres, je ne me réjouis pas, oh non, mais j’enrage de ceux qui ne lisent pas nos livres, j’enrage de ceux qui ne savent pas lire le monde, j’enrage de toutes ces politiques, réformes, système économique et social qui fabriquent des « situations tendues » par l’injustice et la répression et s’étonnent candidement et moralement que la soumission ne soit pas immédiate et pérenne.

Qui rêve de vivre dans des ruines, dans la cendre, le chaos ? Qui rêve de grandir au milieu d’une forêt bétonnée ? Qui rêve de n’avoir aucun avenir en dehors des clous plantés dans l’espace urbain et social ? Des décennies de répétition du « même » pour rien.
Les émeutes sont un symptôme, un mouvement vers un point invisible, à ceux qui ne comprennent pas que ce monde est d’une violence sociale inouïe. Je ne la connais plus. Je suis une bourgeoise qui possède maison et jardin, une femme devenue paisible de son crédit immobilier et de sa voiture jamais en panne, une femme qui ne regarde plus le ticket de caisse quand elle va dans un bar, une femme qui s’offre tous les livres qu’elle veut.
Quand je la connaissais, quand je la vivais, je me rappelle que mon corps-esprit se mettait en mouvement, la rage de l’humiliation me rendait violente. Oh, j’étais trop soumise pour me défendre vraiment, mais cette violence était là, patiente. Etait-elle juste ? Je répète : elle était là.
La morale ne sert à rien pour penser la violence. Combien de livres faut-il écrire pour le montrer ?
dalie Farah