Lydia Tàr : un homme comme les autres, un film de Todd Field avec Cate Blanchett
14 février 2023 2023-02-15 15:32Lydia Tàr : un homme comme les autres, un film de Todd Field avec Cate Blanchett
Lydia Tàr : un homme comme les autres, un film de Todd Field avec Cate Blanchett
Lydia Tàr, un homme comme les autres
Entre-deux
Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler.
Lydia vit entre deux avions, entre deux conférences, entre deux concerts et le film construit une double narration entre ordinaire et extraordinaire. Lydia est adulée, admirée. Comme on dit aujourd’hui, elle est inspirante pourtant elle ne veut pas prendre prétexte de ce dont elle a l’air pour définir son travail, Lydia est cheffe et lesbienne, mais surtout elle est convaincue de son talent. Elle conduit des orchestres et sa vie avec toute l’autorité de sa fonction et de sa place hiérarchique.


Être un homme comme les autres
Au sommet de la pyramide, la vie de la cheffe est filmée comme elle est : une suite de répétitions. Hôtel, Footing, presse, réunions, déjeuner, cours, répétition. Cette vie ordinaire est narrée à un rythme qui pourra gêner le spectateur – le film dure 2H36 – pourtant ce mimétisme crée un ennui instructif : la vie (rêvée) d’un artiste est plus morne qu’on le croit.
Lydia est obsédée par son apparence et surtout ce que dégage son apparence. Ses modèles ? Les compositeurs de pochettes de disques qu’elle admire comme des demi-dieux. Elle veut rejoindre leur Olympe et se fait faire des costumes sur-mesure. Parmi les scènes initiales, celles de la réalisation d’un costume signe toute la religion de cette femme.
Elle n’est pas Julia Roberts la call-girl qui fait les boutiques en pouliche consommable et sponsorisée par Richard Gere, le richard, Lydia un homme meilleur que les autres.
Lydia Tàr, impeccablement impeccable pose comme un homme, dirige mieux qu’un homme, mieux que ceux qui viennent lui quémander des conseils ou ceux qui la complimentent perclus de jalousie ; Lydia est douée.



Une femme puissante, une femme à femmes, une femme violente
Dans son dernier ouvrage, Boniments, François Bégaudeau moque et analyse l’usage déviant de l’expression « femme puissante » au service de la force économique au détriment des femmes elles-mêmes. La puissance de Lydia est une puissance qui use de tout. Elle a le statut et le symbole, le parcours et le pouvoir économique de nuire ou d’élever. Entrent alors en jeu, des stratégies animales et politiques pour renforcer sa force et sa place gagnées en se pliant aux codes socio-financiers de l’orchestre symphonique de Berlin.



C’est toute la tension et la gradation scénaristique du film qui orchestrent avec minutie les scènes en crescendo jusqu’à la fin. Les premières images du film créent une faille, qui devient une fissure puis un effondrement. Lydia est filmée par une personne qui échange au sujet de la cheffe avec sarcasme via un réseau social : elle a une conscience ?
Lydia aime les femmes et dénie le fait que cela soit son étendard. A un étudiant qui refuse de jouer Bach incompatible dit-il avec ses valeurs, elle rétorque, elle réagit contre : faut-il réduire un artiste à ses failles, fussent-elles moralement discutables, voire un brin criminelles ? Elle s’y refuse. Le jeune homme en la traitant de salope. Elle a tort et elle a raison. Raison parce que de ce qu’il reste de Bach on ne peut plus le traduire en justice et tort parce qu’elle ne défend pas Bach, elle se défend elle-même.
Au fur et à mesure, on comprend que Lydia Tàr aime courtiser et séduire les (jeunes) musiciennes et obtenir d’elles des relations sexuelles depuis son aura et surtout son pouvoir de cheffe.


Me-too or not me-too ?
Ainsi la chaîne de violence tient à la foi, la conviction, l’amour de Lydia pour la musique d’accord, mais surtout le patriarcat.
La structure patriarcale lui profite, lui donne latitudes absolues à exercer sa force et jouir de ses désirs ; cette place-là, elle ne l’a pas obtenue en féministe, faiblesse de femmes, mais en opportuniste, force des ambitieux. La musique classique figure alors un milieu de pouvoirs où la pulsion et le caprice masculins ou masculinisés sont lus comme des justes nécessités.
Les lois sociales sont sexuelles et économiques, car Krista. Krista s’est refusée à Lydia, elle sera blacklistée de tous les orchestres sur la recommandation vengeresse de Lydia Tàr.


La finesse du récit, le choix des scènes périphériques donnent au film une grande force analytique non sur les excès du pouvoir comme on le voit écrit ici ou là mais sur la nature même du pouvoir. Il est excès et n’a pas vocation à ne pas l’être.
dalie Farah