Ma cruauté, François Bégaudeau, ou l’éloge de la littérature.

Ma cruauté, François Bégaudeau, ou l’éloge de la littérature.

Ma cruauté, François Bégaudeau, ou l’éloge de la littérature.

Retrouver François Bégaudeau en librairie est toujours une bonne nouvelle, a good news comme chantent les Noirs à l’Eglise américaine. Je sais qu’il me viendra un renouveau, un élan et que je repartirai grandie.

Le titre était déjà un programme : « Ma cruauté », comme toujours je m’interdis de lire la moindre 4ème de couverture et le moindre commentaire. Je déteste qu’on mâche ma nourriture, je préfère – tant que j’ai des dents- le faire moi-même. Et il va falloir que cette critique puisse garder le texte entier pour que vous aussi vous puissiez avoir votre part de lion. Je serais délicate comme une bête qui dépèce sa proie (en présentant les couches de chairs) et mystérieuse comme l’insecte de nuit. (Sans révéler les cœurs du roman) Je vous livre ma lecture en 7 paragraphes pour éventuellement créer votre désir.

La Fumée sans feu

Je ne m’attendais à rien, mais je ne m’attendais pas à ça. Un narrateur s’adresse à une Juliette et d’emblée, l’incipit révèle la situation narrative et dialogique/monologique du livre : « Pour éclairer le cadavre que je te livre ce soir, Juliette, je dois reparler du rire. C’est du rire toujours qu’il faut partir, car comme tu l’ignores tout s’y tient. » La langue du narrateur est dense, très chargée d’effets, parfois précieuse, je ne suis pas habituée à cette écriture, c’est l’économie qui préside d’habitude chez Bégaudeau, mais c’est fait exprès. Un fait c’est toujours exprès chez cet auteur contemporain spinoziste. La langue est un fait.

« Pour éclairer le cadavre que je te livre ce soir, Juliette, je dois reparler du rire. »

Le rire et le cadavre sont donc les pièces liminaires de ce livre. Ce couple et la voix narrative créent un malaise qui ne fera que s’amplifier tout au long du texte. L’expérience de lecture est venue me rappeler Les chants de Maldoror du Comte de Lautréamont, Crime et Châtiment de Dostoïevski, Les carnets du sous-sol du même Dostoïevski et les nouvelles de Bukowski.

C’est un roman qui tient sur de la parole : un « Tu » s’adresse à une Juliette. J’ai parfois du mal avec les livres-procédés ; un livre à tu et à toi a parfois quelque chose d’entêtant quand le procédé est là pour dire l’habileté artisane et ce  sans obéissance à une nécessité créative. Ce n’est pas le cas ici, de ce « tu », François Bégaudeau fait un « je », un « nous » un « il » un « eux, elles, elle ». Cette énonciation est l’un des tours de passe- passe du démiurge capable de faire de la fumée sans feu.

Jacob Cornelisz. van Oostsanen (?), Fou riant, vers 1500

Les rires de Raskolnikov

Pour tracer la généalogie de « sa » cruauté, le narrateur remonte en adolescence, au récit de son premier rire, de cet évènement fondateur car expérimental, empirique : l’histoire de la tumeur de son ami Mercier. « Je veux être l’auxiliaire de cette agonie, car c’en est une, il faut que c’en soit une et qu’à la fin comme redouté Mercier meure. » Un désir « trouble » dirait spontanément la critique qui ignore qu’aucun désir n’est trouble. Par définition le désir se manifeste avec clarté, seule la morale est trouble. L’aventure autour de la tumeur de l’ami du narrateur va lui procurer l’expérience d’un rire. Un rire polysémique, inattendu. Moi, j’ai pensé à Raskolnikov, il rit après avoir tué, il rit alors qu’il se trouve chez le procureur. Maldoror rit. Dark Vador ne rit pas et c’est bien con. Moi, je ris aussi. Attention pas de contre-sens : « dois-je déjà rappeler que la cruauté que je remets ce soir entre tes mains n’est pas éplorée mais rieuse. »

Aux masochistes éclairés

A l’ami Masoch qui jouissait d’être fouetté il faudra passer Ma cruauté. Il apprendrait sur lui-même, sur les rires contenus de ses gémissements et sur la grandeur de ses pulsions dont il ne doit pas avoir honte. C’est le corps.coeur.esprit du livre aussi : « La prudence commande de me taire et la tentation est grande de parler. En moi un bref combat a lieu, remporté haut la main par la tentation. Qui y résisterait ? Quel saint endurci par quelles quotidiennes flagellations ? »

Juliette ne peut pas comprendre, on apprend qu’elle est psy, qu’elle soigne. De quelle santé s’occupe-t-elle et quelle trahison commet-elle à soigner ? Paul veut le raconter, lui qui lui a montré le cadavre dans le coffre, lui fait la confession d’un enfant du siècle où l’on confond le mal et le bien, le remède et la maladie, la vie et la mort, surtout où l’on érige le faux en juste. Le livre est truffé d’expressions en italique, toutes reprennent le prêt-à-dire, (qui n’est même plus un prêt-à-penser) qui se diffuse dans les commentaires, les critiques, les réseaux, les articles, les émissions, les livres, on se prête à dire la même chose à défaut de penser la vie. Incapable de cruauté, les mots miment une fausse bonté. Juliette doit l’entendre – et nous aussi.

La confession de Paul suit une chronos-logique que le lecteur ne peut anticiper. Comment se fondre dans le récit d’un homme qui dit avoir un cadavre dans le coffre. Cadavre authentifié par la présence silencieuse et attentive de Juliette.  Cette impossibilité narrative crée le malaise. Ce qui est accompli ne pourra être empêché, ce que sait le narrateur, il ne peut le découvrir en même temps que nous, il est omniscient comme Dieu, et cette omniscience fait le surplomb dont on ne saisit la modestie qu’à la fin. Cette omniscience le rend détestable, c’est sa politesse. Il est poli comme un romancier, comme un crabe qui attend dans l’égouttoir d’être plongé dans la « grande casserole ».

Irrésistible bête

Nous sommes page 29, la généalogie de Paul remonte à ses 6 ans, autre expérience de vie qui saisit « la factualité brute » de la bête vie. Dès lors, le roman prend son angle aigu, son angle favorable, sa lancée, la tumeur au cerveau de Thibault Mercier et le rire étaient le prologue avant la mort du crabe qui sera la cause du cadavre dans le coffre. On devine que c’est le premier chapitre de ce livre qui a fait l’économie de tout découpage marque-page, l’oracle est donné dans un souffle de 312 pages.

Si l’on veut jouir de Ma cruauté, il faut aussi lire ces feuilles en bestiaire réaliste, entre Buffon et  Sade, entre Lautréamont et Apollinaire. Du crabe et du scorpion on apprend la dignité nette de la mort, que l’on soit celui qu’on ébouillante ou le « criminel parfait » armé d’un dard fatal. De quel bestiaire s’agit-il ? Celui du vivant et de l’art qui l’occupe : la littérature.

A la manière du crabe tourteau sur la couverture, le narrateur narre une vie qui va de biais, fondée sur la foi d’une littérature dont il fait son métier universitaire, dont il fait son statut universitaire, dont il fait son salaire universitaire, son orgueil universitaire mais guère sa nourriture. Littérature, mode d’emploi ? Achetez un crabe. Ou un scorpion.

Les clés  de ce mode-d’emploi déposées comme des cailloux blancs ne seront visibles qu’aux abords de la fin du livre, pierre de rosette ou philosophale, une cruauté se raconte crûment mais lentement.

« Pardon de la dire brutalement mais je préfère brutaliser les mots que les faits »

C’est vrai, c’est la délicatesse ambivalente de François Bégaudeau, c’est une brute, une bête, mais douce. Il se ressemble.

En lisant, en écrivant, j’ai senti cette parenté gémellaire dizygote avec les essais de François. (Histoire de ta bêtise. Notre Joie.) Ainsi Baudelaire quand il eût l’obligation de reprendre ses Fleurs du mal en procès, avait commencé ses poèmes en prose. Le roman publié en mars 2022, porte la patte de « l’époque » ses jugements, et toute la matrice écrivaine qui a traversé l’homme Bégaudeau. C’est un livre au long cours qui fait actualité – en apparence- rude à lire, le bestiaire se fait bestial quand on s’enfonce dans le sous-sol d’une histoire oppressante de chantage sexuel, de vengeance, de jeux de dominations, de femmes/hommes à genoux, de fellation forcée, cherchée, évitée, fantasmée.

Shoot(s) copulatoire(s) ou la force des faibles

Je ne me suis pas repue des allusions aux revers de Metoo, à la question du woke, de l’invention de l’islamogauchisme et autre cancel parce que je ne les ai pas saisies comme thèmes mais comme symptômes. Symptômes de l’art du fake et du glissement sémantique des mêmes pour maintenir leur privilège et symptômes aussi de la revanche des faibles usant des mêmes armes que les forts. A contrario du réel.  Souvent dans les livres de François Bégaudeau, il faut suivre l’argent, là il faut suivre le désir, les désirs, tous les désirs même celui du romancier qui renchérit et surenchérit en mimétisme du réel numérique plus affamé qu’une armée de zombies. Quand le Lion a fini de manger il dort, l’homme numérique ne dort jamais, il n’est jamais rassasié, il mange sans faim, c’est un zombie.

« Les faits noyés dans le flux sont portés disparus et c’est ce que je voulais. Sintange a fait quoi au juste ? C’est flou, c’est confus. La clarté est divine, la confusion l’amie du diable. Oui Juliette le diable existe. Tu le saurais si tu observais le mal au lieu de le combattre. Si suspendant une seconde ton élan thérapeutique tu regardais en face l’incurable. » 

De l’humiliation d’un faible – le narrateur- malmené par son supérieur hiérarchique jaloux, une femme va s’associer et se confier. Confession dans la confession, et voilà la fumée sans feu. L’intime aveugle à comprendre ses causes cherche des monocoupables à son malheur et c’est l’escalade. Le narrateur sous le pseudonyme de Seigneur-crabe, s’auto-proclame bourreau d’avoir été victime de Jacques grâce à la confession de Marianne, qui ayant partagé un baiser, se retrouve harcelée via sms par un Jacques, queutard glorieux puis accablé. Vous me suivez ? Seigneur-crabe s’immisce dans un forum où la parole libre peut calomnier et il va créer le feu adéquat à la fumée. A postériori. Jacques Sintange, le salaud bien et mal nommé sera cloué au pilori, qu’il écarte les bras à défaut des cuisses.

Les pages en discours narrativisé qui retracent les glissements rhétoriques, fallacieux du forum, les embrasements mécaniques et linguistiques des « complots » sont rendus comme des plans-séquences crypto-pornographiques ad nauseam. Parce que oui, le flux produit du flux sans faits et Paul jouit de les mimer, les raconter à Juliette. C’est une partouze sans corps, aux mille langues salivantes, justicières et morales qui procréent sa semence et ses humidités avant de les lécher. Une bonne rumeur amadoue l’angoisse et caresse le désir. Il ne manque plus qu’un média conducteur dont la logistique fondée sur le préjugé fait figure de pensée. La peur et le désir fabriquent des mensonges dont on aime la vérité. La vérité vraie constipe le média qui aime le flux. C’est ainsi que l’on tue la bonté du monde. La rumeur est une immaculée conception. Le désir est une loi. Tout désir est une emprise. Nous sommes innocents. Les monstres n’existent pas. CQFD.

Alors, l’homme est-il bon ? Pas plus qu’un crabe. Mais pas moins.

Il s’agit de « défendre le fort » Est-on prêt à l’entendre ? Lors d’une scène incroyable, un comité d’éthique universitaire s’apprête à juger le comportement de Jacques, ou plutôt, les rumeurs qui concernent Jacques. La vérité est là : quand le droit n’est pas du côté des faibles, ils tiennent leur revanche en dehors des lois. C’est indigne. François Bégaudeau écrit la passion humaine et bête, le contrôle et le jugement de l’incontrôlable désir. L’auteur s’avance sur les terrains colonisés d’habitude par les réactionnaires qui hurlent sur tous les médias possibles qu’ils ne peuvent plus rien dire, les Forts veulent se défendre en Force de l’Ordre, leur Ordre. François s’avance en crabe, Bégaudeau fait un pas de côté. C’est l’épiphanie tardive de Paul. Le problème n’est pas là. C’est pas le fort en Soi qu’il faut défendre, mais le fort en soi. La force en soi-même. « « Tu n’es pas aimé par toi. Tu ne t’aimes pas. » reproche un certain Omar à Paul.

Qui le verra ? Pas les (faux)lecteurs qui adorent détester Bégaudeau, qui s’aiment détestant Bégaudeau. Pour leur défense, le pari est délicat, aux franges d’un sadisme joyeux. C’est ce qui se passe quand on veut réveiller la bête qui ne demande que ça, elle ne dort que d’un œil. Voyez la méticulosité et la rigueur avec laquelle le romancier peint la prédation masculine soumise à un désir qui use de toutes les voies pour être satisfait. Voyez ces pages où l’on voit comment un metteur en scène s’appuie sur la vanité comédienne pour transformer une répétition en masturbation. Voyez comme la victime d’un baiser volé prend plaisir à son récit, à revivre le frisson d’un désir dont elle n’a pas vraiment saisi l’opacité, voyez celle-là qui montre ses tatouages, sa nuque, voyez le souffle, elle s’appelle Justine, cela ne vous rappelle rien ? Voyez l’humidité et la culotte. Voyez comme nous sommes voyeurs.

A bien des égards, et c’est sa force, Ma cruauté est insupportable.

Une clé, page 112 : « (…) c’est d’avoir tant brimé le corps que nos cerveaux sont malades. »

La fin du livre est la plus érotique et donc poétique de tous les romans de Bégaudeau et il n’y a pas de sexe. J’aurais des analyses métalittéraires à ce sujet, mais c’est un texte à jouir et à lire, que votre plaisir esthète soit plein. Chaque cruauté cherche sa rédemption et se trouve si l’on veut bien l’accepter.

Rendre « hommage » à « l’indignité du monde », voilà le pari bégaudien. Non en nihiliste, mais en vitaliste. Non en moraliste, mais en vitaliste. Revenons au rire. Il ne s’agit plus du rire premier, « cynique » mais du rire « affirmatif » celui du démon qui demande à l’homme s’il aime la vie au point de la revivre encore mais sous la même forme. La bête dirait oui. Les bêtes disent oui, elles s’en foutent de la morale. Paul finit par dire oui. C’est sa part de bonté.

« Est-ce un monde sans art que tu veux Juliette ? Un monde affranchi de l’horreur et donc de l’art qui le rumine et le rend ? De l’art qui de tout bois fait feu ? »

Telle est la question à laquelle François Bégaudeau répond comme toujours radicalement.

dalie Farah


Vademecum stylistique

Dans cet opus, François Bégaudeau traite d’une matière très difficile à narrativiser : la parole. Et c’est ce qui fera le happy few de cet opus. Il a dû déployer toutes sortes de ruses de Sioux – qu’il est- à faire récit de paroles. Le travail sur les registres et sur la langue instable de cet universitaire est un pari stylistique qui donne ces faux-airs précieux au début du livre, ces redondances, ce goût pour l’anaphore. Tout monologue porte les marques stylistiques de celui qui parle vraiment ; j’ai vu le second degré des ruses et des escroqueries lyriques, verbales du narrateur, un menteur qui dit vouloir la vérité ment toujours un peu, je me suis amusée à relever quelques petites malices sournoises et goûtues.

Rapport à la littérature ou le syllogisme sioux

« Perchée sur une cime d’où elle dégageait des lois générales et ne voyait rien du scorpion, la littérature était réduite par moi à la mission d’élever les consciences. Et la conscience forcément était malheureuse.Il eût fallu qu’elle soit bête pour ne pas l’être.La conscience niait l’extase d’être une bête. » page 32

Définition de l’égotisme sans issue

« L’inepte enjeu d’être aimé m’occupait à plein temps. En autrui je cherchais d’abord l’adhésion. » (…) La plupart du temps j’agissais pour la cause que j’estimais prioritaire, à savoir la mienne. » page 33

Vérité générale de sioux

« L’esprit a peu d’égards pour les faits, et même se soutient de leur élution. » page 37 antithèse
« L’anonymat qui puait la veulerie était un facilitateur de courage. » antithèse
« On attend de voir comment le vent tourne pour fixer sa voile. Page 135 métonymie/synecdoque
« Le comédien n’est pas exactement paradoxal : il est ambivalent. » page 139- éparnothose
« Comme il se doit, le démenti à la rumeur avait eu pour effet d’en tripler le débit. » page 209 – paradoxe apparent

De l’amour- du Sioux

« L’envie est plus digne de foi que l’amour ; la sommation d’un corps plus irréfutable que l’autosuggestion sentimentale. » page 38

Le boléro du Sioux : un triolet un

« Je flottais dans une période mi-figue où la dissolution des croyances héritées n’avait pas encore laissé place à une nouvelle foi. Je piétinais entre deux feux, l’un réduit en cendres froides, l’autre tardant à s’allumer. » page 49

Morale de Sioux

« Aussi sûr que, ne t’en déplaise, des méchants le sont volontairement, j’étais idiot en connaissances de cause. » page 51
« Le frisson était de plaisir et d’effroi – Oh Juliette si du lexique universel il ne fallait garder qu’un mot, je garderais frisson. Je frissonnais de froid et de chaud. J’étais le rhume et l’enrhumé. J’étais le virus et le virologue. Et maintenant sincèrement jacques me fait pitié. » page 146

Drôlerie de Sioux

« En finesse de chasseur du paléolithique » page 53
« Douteux comme l’hygiène d’une douche de piscine municipale. » Page 61
« Attention à ne pas surinterpréter, dis-je en ajoutant de la moutarde sur mon filet de colin. Page 137
«(…) les soirs de fêtes étudiantes, où les litres d’alcool ingérés déchaînent des comportements presque aussi bestiaux que ceux d’un week-end d’intégration à HEC. » page 156
« (…) dans des séminaires de mangers, des lycées, des prisons et autres institutions carcérales. Page 169
« Je ne trinque pas avec des gens qui disent truc. »page 293

Ambivalence de Sioux

«  Si la lionne est dissociée de sa sauvagerie, elle est disgraciée. Ton regard borgne occulte les canines dans le fauve. Tu veux le sauvage sans la sauvagerie. Tu veux la vitalité sans la violence. Que veux-tu au juste ? A quelle ablation du vivant conspires-tu ? » page 72

Petite pique de Sioux

« Tenant du réflexe tribal, ce consentement collectif à la connerie appelait aussi peu condamnation que le cannibalisme sur un radeau de naufragés. Nous étions des salariés, nous étions des bêtes. Dans l’étroitesse de notre vase clos, nous étions en situation de dépendance mutuelle, et d’imbrication toxique entre évaluation professionnelle et affective. Nous ne vivions que du crédit de ceux qui partageaient nos rachitiques bureaux ; promus par le seul suffrage, ou le promouvant à notre tour. Cette mélasse incestueuse le jargon du cru la redorait en reconnaissance des pairs. » page 78
« Si elle devait portait plainte chaque fois qu’un type promet de la défoncer, elle n’aurait plus qu’à emménager dans un commissariat. » page 196

Sexe de faux-Sioux

« Il la pénètre direct. Il donne des grands coups, elle est moyen fan. Il lui fait un peu mal en tirant ses cheveux mais le point positif c’est qu’il jouit tout de suite puis se rhabille sans douche car il s’est mis en retard pour la mairie. » page 191

Analyses de Sioux

« Tu m’as bien entendu : Marianne s’excuse auprès de l’homme qui la harcèle. S’excuse de ce qui est arrivé, comme d’un accident dont Jacques serait victime autant qu’elle. Si tu n’es pas encore complètement hermétique au vivant, tu auras noté cette propension éduquée des femmes à s’accuser de ce qu’elles subissent – et la tendance symétrique des hommes à se venger sur elles de leur propre manquement, tel ce vingtenaire qui, déclaré inapte à la carrière sous les drapeaux qu’il caressait, n’avait pas défoulé sa frustration sur un militaire, un gradé, voire son père officier, mais sur une fillette traînée par les cheveux jusqu’à une cave pour la violer. » page 97
« Le réel te met tout dans l’assiette et toi tu en laisses les trois quarts. Du crabe tu ne prends que la chair onctueuse, de l’abeille que le miel. De la terre tu prends le sucre et laisses le sel. Tu n’es presque rien mangé. Tu es impolie. » page 169

Florilège (sioux) des logiques stylistiques de la rumeur

« Le sourire que l’assistance avait dû juger débonnaire apparaissait aujourd’hui pour ce qu’il était : un rictus lubrique. » page 132 -l’interprétation métaphorique a postériori
« On doit se méfier de ceux qui s’expliquent publiquement autant que de ceux qui ne s’expliquent pas. On doit se méfier. Il n’y a pas de bénéfice du doute : s’il y a doute c’est que c’est douteux. » page 133 -Le glissement du complément d’objet indirect, vers une absence de complément qui permet une polyptote (doute/douteux) accusatrice qui fait office d’argument.
« On commence à s’interroger à mots couverts, puis découverts, puis débraillés. » page 135. -Gradation métaphorique
« Adam Majoubi a des origines maghrébines que certains ont d’abord crues juives, ce qui a sa nomination lui a valu des insultes antisémites vite rectifiées en insultes arabophobes. » page 156- Petite ironie palinodique
« Les faits n’étaient pas à la hauteur de l’imagination. » page 171 - faux truisme.
« On avait vu tout ça.
On avait tout vu.
Dans ce domaine il n’y avait rien de concevable que les humais n’aient conçu. » page 220 – combo récurrent de l’anaphore et de la polyptote

Petite beauté de Sioux

«  Ils étaient aussi littéraires que moi chinois mais justement. J’avais appris à aimer plutôt que déplorer leurs copies maladroites, comme l’enfance avait aimé la patte folle du setter irlandais du voisin. Cette patte si bien nommée était son charme, son idiosyncrasie. L’enfance pouvait fixer des heures ce prodige de patte toujours à la traîne de l’animal, de même qu’elle scrutait, fascinée, envoûtée, les joues grêlées dudit voisin. » page 233 Analogie

Beauté fatale de Sioux – page 191

« La vie la vie la vie un jour se finit et à cet instant j’en ris. »