Mes enfants sont partis de Julie Bonnie

Mes enfants sont partis de Julie Bonnie

Mes enfants sont partis de Julie Bonnie

Mes enfants sont partis de Julie Bonnie.

Aux enfants qui s’en vont, (et à la mort qui viendra.)

J’aime beaucoup Julie Bonnie. Je ne l’ai jamais rencontrée. Je l’ai lue. La première fois que je la lis, c’est Chambre 2. Le livre a eu un succès d’édition et a même connu une interprétation au cinéma avec Sandrine Bonnaire. Je retrouve sa voix dans ce roman qui paraît aujourd’hui.

La narratrice a 50 ans et ses enfants partent faire leurs études. De cette situation banale, Julie Bonnie fait le récit d’un vertige. Celui de la solitude, de l’abandon, du sentiment d’inutilité, du vide.

Elle raconte les déboires d’une prolo/chanteuse devenue auxiliaire de puéricultrice, puis écrivaine, c’est sa vie. Si elle retrace avec une nostalgie émue ses souvenirs de mère, elle ne cache pas ses difficultés de femme et ses échecs. L’amertume d’une carrière de chanteuse avortée, d’une perpétuelle peur de ne pas y arriver.

La seule carrière qu’elle semble maîtriser est la maternité, pourtant elle n’est pas dupe ; elle n’est pas parfaite et ses angoisses, ses anxiétés la dévorent tant, qu’elle les éteint comme elle peut. Verre de vin sur la terrasse, footing le long de la Seine, Lexomil quand rien n’y fait.

Parce que le départ des enfants annonce le dernier tiers de sa vie. Et dans un paradoxe que je devine, la morbidité autodestructrice de la chanteuse de 20 ans grossit la terreur de mourir de la femme de 50. La narratrice vit ses jours entre courses à Ikéa et écoute nocturne d’une émission imaginaire : Forza les vieilles !

50 ans. Le début de la fin ?

Je les ai moi aussi les 50 ans. Et je me suis dit, en lisant Julie, qu’un âge ne veut pas dire grand-chose quand la vie t’a fait mourir et renaitre plusieurs fois, car pour accompagner sa voix, Julie, écrivaine et compositrice, fait entendre d’autres voix de femmes. 50 ans pour cette mère qui a perdu sa fille ne sont pas les mêmes que celle-là qui a accouché dans la rue, où celle qui s’est séparée de sa compagne, où celle qui voit son fils sortir de prison.  Les vies inventées en contrepoint du récit personnel créent cette foule sorore et multiple qui peignent tous les âges d’une femme. On accompagne Katell, Géraldine, Héléna, on ne peut que partager avec elles un bout de nos vies ; être émue de ces destins qui se ressemblent. Les enfants partent, finissent par partir. En tout cas, dans ces milieux sociaux où l’argent et le parcours rendent possibles ces départs. J’en connais qui prie à genoux d’avoir les moyens que leurs enfants puissent s’en aller. Certains malheurs sont un luxe.

Conteuse des vies des autres, Julie Bonnie offre alors une langue plus hargneuse, rythmée, comme si ces vies-là devaient danser devant elle, comme si ces vies lui donnaient le courage d’accepter la sienne. Julie excelle dans les formes brèves, elle a ce talent – difficile – de savoir resserrer une histoire de vie en quelques pages. Si les lignes qui la concernent miment ses peines, celles des autres femmes sont vives, Julie retrouve foi quand elle crée. Le chœur de femmes qui surgit de ce récit personnel signe l’espoir et le désespoir d’une acceptation. La jeunesse de la mère est révolue, celle de ses enfants commence.

Quels choix a-t-on face au temps qui passe ?

Julie Bonnie essaie de choisir la vie, essaie de trouver sa voie parmi celles des autres, au fond, comme elle a toujours fait, comme elle peut. Dans un élan vif, sur 200 pages, la lecture de Mes enfants sont partis offre ce chemin de doutes, de peur, des poèmes, des clin d’œil, des colères et des rires, comme Julie.

dalie Farah

à paraître le 25 septembre 2024 - Grasset