Peine d’un mort

Peine d’un mort

Peine d’un mort

Nahel, Naël a plusieurs origines étymologiques. Une des plus anciennes se trouve dans la bible, Naël est un des apôtres de Jésus en Palestine. Ce juif galiléen du 1er siècle a évangélisé la Mésopotamie, il est mort en martyr, écorché vif. On le représente souvent symboliquement portant sa propre peau.

Celui qui fait la une des journaux n’est pas apôtre, il a 17 ans mais lui aussi est mort d’une mort à la fois réelle et symbolique.

Ce qui est réel, c’est la mort effective, la mort factuelle d’un jeune homme de 17 ans, d’une balle dans le thorax portée quasiment à bout portant. Ce qui est symbolique c’est la réaction au fait. Comme dans tout fait-divers, c’est-à-dire tragédie des pauvres, les réactions sont vives et portent cette ambivalence : beaucoup en jouissent, d’autres se révoltent.

"ANONYME- Les policiers sont fatigués, très fatigués, par un travail très dur, une pression insoutenable, un stress permanent pour leur propre vie et celle de leur famille qui subissent des menaces de « jeunes » de ces milieux et de la France insoumise. Pour les soulager et diminuer le stress insoutenable de ces policiers, l’armée doit les soutenir pour stopper la délinquance et l’absence d’éducation de trop d’enfants de ces quartiers.
ANONYME- Il a joue il a perdu.
ANONYME- Les VIP stars de cinema , footeux et autres exiles fiscaux feraient mieux d inciter les jeunes a respecter les lois pour eviter de donner une raison a la police de leur tirer dessus.
ANONYME- Comme chacun sait, les enfants de cœur circulent en Mercedes et sans permis...
ANONYME- Il vient d'où cet avocat, il n'y a pas de travail en Afrique ?
ANONYME- Par contre dès qu'il s'agit de dénoncer le décès d'un agent des forces de l'ordre, d'un prêtre, ou d'un conducteur de bus massacrés par des barbares, on ne les entend plus ....
ANONYME- Une minute de silence à l'assemblée pour ce multirécidivistes? On peut dire au contraire merci au policier pour l'intérêt général.
ANONYME- Un envahisseur en moins. Champagne !
ANONYME- Un mineur qui se permet de conduire une Mercedes sans permis et refuse d'obéir à une injonction des forces de l'ordre. Ca ne mérite pas la mort, sauf circonstances aggravantes (récidive, conduite sous l'emprise de stupéfiant,...). L'enquête nous dira pourquoi le policier tenait en joue cet ado.
ANONYME- Tout mon soutien à la famille de Naël, à ses proches, ses ami.e.s et à tous les enfants de ces quartiers pris pour cible par une police et un pouvoir qui agissent en toute impunité et avec un racisme qu’ils ne cachent même plus. Honte à eux.
ANONYME- Il y a toujours eu des transgresseur(ses) et il y en aura encore tant qu'un ordre établi et une morale ad'hoc formeront nos sociétés. Il y a plus de 50 ans j'ai roulé sans permis et j'étais mineur mais je n'aurais pas reçu une balle pour ça.
ANONYME- J'ai regardé  la video plusieurs fois. Comment se fait il qu'un policier pour se faire obeir pointe une arme. Comment se fait que la personne pointée par cette arme ne reste pas immobile."

Le chœur de la révolte et de la jouissance s’attache à une chose : expliquer/justifier la mort d’un jeune français portant le faciès des habitants d’une ancienne colonie.

La mort de Nahel vient flatter le désir de vengeance raciste qui nourrit une grande part des commentaires, articles des journaux, éditoriaux et interventions politiques, et elle vient surligner la transformation aboutie de la police actuelle. Criminaliser ou idéaliser Nahel procède d’une sorte de champs/contre champs. La criminalisation d’un jeune homme qui n’a jamais été condamné par la justice rétablit la loi du talion. Œil pour œil. Dent pour dent.

La justice punitive consiste en la réciprocité du crime et de la peine. Ce n’est surement pas le rôle de la police pourtant la factualité du défaut de permis convainc les voix que la mort de Nahel est une mort qu’il a cherchée voire méritée.

Ce qui se joue surtout c’est un fantasme, un terrible et incroyable fantasme persistant : l’anticipation vengeresse de la délinquance. Cette idée est ancienne, elle justifiait les maisons de correction, elle justifiait le dressage des jeunes prolos, elle justifiait la violence éducative. Ce qui a glamourisé la question c’est la renaissance sexy et bling bling des propos colonialistes : il faut éradiquer la racaille.

Ce fantasme raciste prédit qu’un jeune prolo français à la colorimétrie élevée est un potentiel criminel qu’il faut supprimer par anticipation, on désire démocratiquement l’éradication préventive d’une population ciblée.

Cette prophylaxie sociale et politique, propre à l’extrême droite, a étendu sa couverture politique depuis des années et elle a aussi pris ses quartiers dans la Police. Il existe des dizaines de publications analysant la transformation de la Police, des dizaines de témoignages décrivant comment les relations avec la police ont été instrumentalisées à des fins électorales, des dizaines de publications de chercheurs sur les conditions de vie dans les quartiers paupérisés. Qui peut encore s’étonner de ce qui se passe aujourd’hui ?

La violence se fabrique tout autant que la misère, je l’écris, le montre dans mes trois premiers romans. Bien sûr, il existe et existera une opacité du mal commis par l’humanité, mais la violence dans ses apparents surgissements est une fabrique à la fois contingente (elle pourrait ne pas arriver) et nécessaire (elle arrive).

D’ailleurs, la procédure judiciaire aurait pu ne pas avoir lieu : sans la vidéo amateur, le rapport mensonger des forces de police aurait fait foi.

Ce mensonge, ce faux en écriture est un aveu. L’aveu d’un acte qui n’est pas suffisamment légal pour être retranscrit dans sa vérité.

La capture d’écran de la mise en joue à bout portant ressemble à un First Person Shooter. La force de ces images vient frapper notre système moral, qui de se révolter, qui d’en jouir. Je ne commenterai pas l’enquête en cours, un policier, présumé innocent, est accusé d’homicide volontaire, car l’usage de son arme n’a pas été conforme à la légalité.

Pour autant, dans une démocratie représentative, la Police ne devrait pas être contrôlée par elle-même, dans une démocratie représentative, la Police devrait être protégée d’elle-même par une tierce instance. Comme tous les services publics, la Police ne devrait pas être au service d’une politique mais au service d’une population. La démocratie française est une démocratie représentative, toute institution représente ses administrés. Si elle en est incapable, elle crée et créera des désordres et des violences ad lib. Elle le fait, l’a fait, le fera. ad lib.

Dans le cadre de l’affaire en cours qui prendra sans doute des années à être instruite et jugée définitivement, l’évidence des images ne peut tout expliquer. Pourquoi ce policier a-t-il usé de son arme ? Je ne sais pas. Il plaide la peur. Pour lui. Son collègue. Des badauds. Qui a dit « On va te mettre une balle dans la tête ? » Qui hurle : « shoote (le) ! » Je ne sais pas. Mais forcément l’un des deux policiers à moto. L’avocat du policier qui a tiré transmet un « pardon » qu’il demande à la famille. Pour l’heure, la mère de Nahel incrimine cet homme, pas la Police, elle ne juge pas la Police toute entière, elle demande justice.

On ne peut que la demander avec elle.

Mais la justice ne peut faire plus que l’ensemble des pouvoirs publics. La révolte sociale est là, dans une autodestruction tragique, l’on brûle sa maison dans un geste expiatoire et vengeur. La peine et la révolte embrasent ce qui flambait sourdement, embrasent depuis les injustices que l’on méprise avec ceux qui la subissent.

J’ai de la peine, peine pour la mort de ce jeune homme, peine pour cette inlassable scénario qui vient nourrir le mépris, la haine, le rejet des classes populaires, et inscrit en elles, la violence comme seule dignité possible face à l’injustice. Peine, pour la peine de mort dont la résurrection est attendue comme un nouvel apôtre politique.

dalie Farah