Que luise la lumière ! The Confessions d’Alexander Zeldin à la Comédie de Clermont.

Que luise la lumière ! The Confessions d’Alexander Zeldin à la Comédie de Clermont.

Que luise la lumière ! The Confessions d’Alexander Zeldin à la Comédie de Clermont.

Que luise la lumière ! The Confessions d’Alexander Zeldin à la Comédie de Clermont.

« luceat lux vestra » est-il écrit sur une banderole devant un rideau rouge, d’où sortent trois jeunes filles en tenues de bal. D’abord leurs voix, puis leurs mains, puis le reste du corps. Gradation métonymique heureuse. C’est à ce moment là, que l’on rencontre l’histoire Alice, protagoniste de cette épopée ordinaire. Non, pardon, ce n’est pas exact, on la rencontre plusieurs décennies plus tard : elle vient nous parler, on se demande même si ce n’est pas une des spectatrices qui se serait perdue et serait montée sur scène par mégarde.

C’est Alice aussi.

"C’est le récit d’une femme née dans une famille simple dans un village australien qui a envie d’apprendre, de découvrir le monde, mais à qui on ne donne pas les bons outils, qui doit les chercher et s’émanciper. C’est une personne qui subit les pièges et les violences de la vie, contre qui il y a violence, et qui cherche à réparer cette violence. Elle doit trouver un moyen de la surpasser pour devenir qui elle cherche à être. Le chemin sera long : un mariage à 18 ans, une tentative d’assassinat, le mouvement de la libération de la femme dans les années 1970, le spectre de la Seconde Guerre mondiale. Il y aussi l’histoire de mon père, un Juif né en 1930. L’ambition est donc de faire sentir le temps et les gens à travers le temps." ALEXANDER ZELDIN  Entretien réalisé par Moïra Dalant,
février 2023

Ce sera l’histoire d’Alice racontée par elle-même à son fils. The Confessions, permet à une mère de rendre compte de la filiation mais aussi de la vie de ces femmes qui ont vécu des temps de mutation inouïe. Nous sommes en Australie. Nous sommes donc d’abord à un bal, lieu rencontre d’Alice avec son premier amoureux.

Il apparaît assez vite que l’histoire d’une femme se construit à travers ses rencontres avec des hommes, les hommes font son histoire : tous les tableaux – sauf les derniers- suivent cette chrononarrativité. Un homme, une époque. cela révèle aussi une émancipation toujours partielle, adossée à des amours censées donner plus de liberté aux femmes et les forcent à se modéliser aux désirs impérieux des…hommes. J’ai beaucoup aimé ce regard sur la liberté sexuelle tellement plus favorable aux hommes qu’aux femmes, j’ai aussi apprécié la justesse de cette universelle condition féminine dans un destin pourtant particulier.

Les tableaux vivants sont à l’image du goût de la jeune fille pour l’art mais aussi l’esthétique, la philosophe de l’art. depuis la filiation à son père qui peignait mais dont le geste n’était pas reconnu par la société et surtout par la mère d’Alice. Dans ce nuancier les femmes ne sont pas des héroïnes intactes, les hommes des monstres incarnés : ce sont des êtres aux prises avec leur temps et leur histoire propre.

La réussite de ce spectacle tient aussi à une mise en scène efficace et qui ne cherche pas le tape-à-l’œil. L’absence de vidéo et le jeu in situ des différents moments de vie d’Alice permet une connivence très tendre avec le public, permet aussi un sain réalisme. Le jeu des comédiens – même si inégal selon les personnages – rend compte d’une fraîcheur authentique. L’interprète d’Alice au temps de la vieillesse est exceptionnelle. Elle tient le cadre et le récit de toute sa petite taille.

Il y a une scène qui m’a sidérée par sa beauté et sa vérité. Alors qu’elle revoit l’homme qui l’a abusée, que cet homme fait comme si de rien n’était, comme si l’abus était un acte ordinaire et masculin, elle le prend au mot, lui demande s’il veut prendre un bain, lui demande de se déshabiller. La scène est lente, dure ce qu’il faut, elle est d’une telle justesse qu’elle rend compte du viol et de la résistance au déni social : sur scène ce n’est pas le jeune Alice qui se déshabille, c’est la plus âgée : c’est magnifique. Le récit fait au fils, lui fait revivre – devant nos yeux – et peut-être même classer l’affaire ; est-ce arrivé ? A-t-elle vraiment poussé l’homme à la reconnaissance des faits par la honte renversée ? Est-ce une liberté narrative de la mère pour délester le fils de cette confession douloureuse ? Le sens demeure suspendu. C’est très très beau.

La pièce dure deux heures mais les minutes soubresautent entre les différents espaces aménagés en poupée russe depuis la salle (avec les spectateurs) et la scène où la boite dans la boîte crée un double puis triple puis quadruple décor. C’est ingénieux et marque le déroulement du temps sans cette débauche d’artifices parfois inutiles dans tout récit. Les neuf comédiens jouent tous les personnages, les scène témoignent de la vie et de l’époque dans son rapport aux objets (via le décor et les costumes) mais aussi la référence aux événements qui traversent l’histoire.

La question sociale détermine beaucoup un parcours de vie. Elle est évoquée à travers ses obligations de se marier- notamment transmises par la mère -. Le destin des femmes tient à leur capacité financière, point d’émancipation sans autonomie financière. Je me permets de le signaler ici car le désir du créateur est un désir hyperréaliste, ou au moins réaliste. Les mutations du monde sont aussi des mutations économiques. D’ailleurs Alice choisit le dernier homme de sa vie, ce Jacob rencontré à la médiathèque, c’est elle qui lui demande un lien, elle s’intéresse toujours à la peinture mais aussi à la question sociale. Elle veut devenir assistante sociale.

C’est ce qui donne un aspect total et universel à cette story. Alexander a interviewé sa mère et d’autres femmes, son geste créateur est un geste féministe, un geste de tendresse aussi. La seule scène de la baignoire légitime tout. Elle restera dans ma mémoire comme une vérité impromptue, une petite merveille, trésor de vie caché sur une scène de théâtre, à la vue de tous. Une lumière. Luceat lux vestra.

dalie Farah