Très bel inventaire d’un père, Tombé du ciel de Mathieu Deslandes

Très bel inventaire d’un père, Tombé du ciel de Mathieu Deslandes

Très bel inventaire d’un père, Tombé du ciel de Mathieu Deslandes

Très bel inventaire d’un père, Tombé du ciel de Mathieu Deslandes

C’est curieux mais j’ai pensé à Perec et Prévert en lisant ce texte, Pérec et Prévert qui ont le mot père en creux de leur nom. Ecrire au nom du père, en quête du père n’est pas une nouveauté, c’est même devenu une forme de cliché narratif, pourtant Matthieu Deslandes écrit un texte singulier et c’est beau.

Un geste personnel d’écriture

Son parti pris est d’écrire sans faux-semblant fictionnel, sans mimer une quête dans une fausse universalité qui aurait sans doute plus de valeur marketing mais moins de valeur littéraire. Sorti en octobre 2023, il n’est pas sur les listes des primés de ceci, cela pourtant il en surpasse beaucoup en qualité et en justesse.

C’est un livre personnel, dont l’unicité rend la lecture soyeuse, douce, lente, émouvante. Mathieu Deslandes cherche à retrouver son père tôt disparu, il va mener une enquête, une enquête littéraire et journalistique. Il rencontre des témoins, recueille leurs propos, des documents, il parcourt les lieux du passé de son père et s’adresse à lui dans ce récit littéraire.

L’on pourra se sentir tenu à l’écart de cette quête, l’on pourra trouver que ce texte très personnel n’a pas besoin de lecteurs. Pourtant, ce texte a sa nécessité dans l’évidente justesse du geste d’écriture.

Inventaire et invention

Mathieu Deslandes commence son texte par trois chapitres qui posent les jalons de son enquête. La marque du père depuis son enterrement. La filiation de Mathieu avec son propre fils. Le savoir morcelé autour de ce père disparu. Mathieu court après trois fils narratifs et ces fils vont tisser dans une mélancolie poignante la vie de Philippe, un couvreur tombé du toit et monté au ciel. Ce portrait en acte s’accomplit dans un inventaire poétique où les scènes viennent peindre en impressionniste têtu la toile vide du passé.

J’ai trouvé très émouvant l’amoncellement de détails inutiles, surnuméraires, touchant, ce foisonnement de personnages témoins qui ont oublié et qui se souviennent. Mathieu est parfois encore cet enfant qui garde des trésors dans une petite boite, petites choses de rien que l’enfance transforme en objets merveilleux mais il écrit en journaliste méticuleux, en écrivain inspiré et toutes ces voix de fils-orphelin font le père, l’écrivent et l’inventent. Le fils devient démiurge et abandonne l’enfance dans la petite boite à trésors.

Philippe Deslandes n’apparaît pas vraiment dans sa chair, il n’est pas non plus là comme un spectre, il est personnage de papier pour nous lecteur, mais cela n’empêche pas sa pleine présence : c’est la quête honnête et sincère de Mathieu Deslandes associée à un véritable talent du récit qui en fait objet de curiosité tendre. L’on pourra sourire aux naïvetés, aux émotions non dissimulées, à la fin du livre une peu « cinématographique » mais toute la force de ce récit tient au geste documentaire entêté d’un fils qui veut énumérer son père, le réciter comme on récite un poème ou une prière.

« Il y a longtemps, maintenant, que je suis plus vieux que toi. »

Mathieu Deslandes, Tombé du ciel
Les Constructeurs, Fernand Léger.

Quand un orphelin dépasse l’âge de son père défunt, il vit toujours un vertige dangereux. Il peut tomber lui aussi. Mathieu conjure par ce livre un mystère intime et une quête loyale : la honte du père disparu, la honte de ses faiblesses de fils, la honte de ses mépris, de ses oublis et de toutes ces années sans écrire ce livre-là.

Le plaisir du lecteur est ce cheminement mais aussi cette vie reconstituée sous  nos yeux, cette true and tiny life, si importante aux yeux de l’écrivain. Philippe manque de mourir plusieurs fois, mais c’est d’un toit qu’il tombera. Philippe a fait plusieurs métiers où il était dans un bureau au rez-de-chaussée, mais c’est d’un toit qu’il tombera.

Désormais dans une vie bourgeoise que son père n’a pas connue, Mathieu veut savoir comment cette mort ouvrière est venue frapper sa propre vie. Volontiers ironique, il se moque de sa propre sentimentalité, de son ascension sociale qui lui apparaît si troublante en miroir de la vie de son père. Pendant les mois d’écriture, il fait refaire le toit de chez lui, à Paris, il n’arrive pas à y aller. Le couvreur se moque un peu de ce propriétaire et Mathieu masque un peu sa gêne d’orphelin/écrivain/proprio.

La chance d’être orphelin

Ce paradoxe fait le cœur du texte, c’est sa chance en effet : une indemnité qui paie des études, une absence qui construit une personnalité, une survie protégée qui donne goût au présent et à l’avenir ? La vie de Mathieu doit – presque- tout à la mort de Philippe.

« Je me suis senti si seul avec mon vieux chagrin. »

Dans cet inventaire solitaire, Mathieu Deslandes reconnait et se défait de son mépris, reconstitue tout l’amour dont il a bénéficié et toute la foi socialiste et chrétienne qui a porté ses parents. L’adversité n’a pas créé d’adversaire, le fils n’a pas à lutter ou à tuer un père déjà mort, il  ne fait que lui parler, il lui dit « tu » car son père qui est au cieux, n’a pas à être sanctifié, ne peut plus régner, sa volonté ne peut plus être faite sur terre et encore moins au ciel, mais il peut entendre la prière de son fils.

J’ai aimé lire cette prière au père murmuré avec pudeur et folle exhaustivité, dans cette débauche d’anecdotes, de rencontres, la vie de Philippe Deslandes est bien inscrite au patrimoine de Mathieu, cela ne consolera pas, mais comble quelque chose, une petite pièce minuscule dans le puzzle des vies oubliées.

Amen.

dalie Farah