Un enfant sans histoire de Minh Tran Huy et S’adapter de Clara Dupont Monod, Parce qu’il a bien fallu naître.
1 mars 2023 2023-03-01 21:13Un enfant sans histoire de Minh Tran Huy et S’adapter de Clara Dupont Monod, Parce qu’il a bien fallu naître.
Un enfant sans histoire de Minh Tran Huy et S’adapter de Clara Dupont Monod, Parce qu’il a bien fallu naître.
Un enfant sans histoire et S’adapter de Minh Tran Huy et Clara Dupont Monod, Parce qu’il a bien fallu naître.
J’ai rencontré la première lors d’un Festival, j’ai écouté la seconde parler de mon livre Le Doigt, sur France Inter. Leurs livres étaient sur ma table de nuit, en attente d’un temps que je n’ai plus. Je les ai lues.
Parce qu’il a bien fallu naître
D’abord Un enfant sans histoire. Dans ce récit documenté et documentaire, MinhTran Huy raconte son propre fils, Paul et Temple Grandin, une célèbre autiste – car asperger- qui a révolutionné le regard porté sur cette manière d’être au monde. Puis S’adapter, un récit aux accents fabuleux qui vient documenter aussi la vie de l’autrice Clara Dupont Monod : dans une fratrie, le petit frère naît et il est différent.
Les intentions de ces deux livres diffèrent par leur composition et leur dispositif mais des deux livres on peut saisir cette vulnérabilité absolue de naître, cet aléa absolu de naître ici. Ou là. Comme ci. Ou comme ça.


S’ils te taisent, les pierres crieront.
Minh Tran Huy excelle au récit de faits, à l’énergie narrative et à la cruelle pudeur du malheur. Dans son roman, elle va raconter la naissance de son propre fils, la naissance d’un enfant qui n’est pas comme les autres. Promesse que ce premier né attendu, promesse pour un couple qui s’aime et voit dans l’enfant toute la force d’avenir, celle d’une famille réussie ; promesse aussi que l’enfant fera lignée et héritage, fierté et joie. La journaliste et écrivaine avance de biais, d’une on verra l’épopée de Temple Grandin, l’autiste américaine, de l’autre celle de Paul et de ses parents, deux destins qu’on aimerait similaires.
Clara Dupont Monod, s’enveloppe d’encore plus de pudeurs, elle ne racontera pas, elle fera raconter : ce sont des pierres, celles-là même qui entourent la maison familiale et qui observent. Elles racontent d’abord l’aîné, puis la sœur, puis un autre.
Les deux romancières racontent, elles crient en silence comme les pierres, elles crient ce silence autour du handicap, et surtout, elles cherchent – chacune dans une esthétique différente – à trouver leur voix.
L’empreinte de l’enfance
Impossible qu’une vie suive son cours quand l’enfant nait. Impossible qu’elle suive un cours paisible quand l’enfant grandit. Mais que dire quand l’enfant devient la douleur quotidienne ? Minh Tran Huy raconte avec force les nuits sans sommeil, raconte les doutes et les hontes de l’enfant qui ne correspond pas. A qui ? A quoi ? A tout. C’est presque un récit suspendu que l’histoire des premières années de ce fils qui désapprend plus qu’il n’acquiert, cet enfant que l’on désire – avec les parents – surdoué depuis son handicap. On voudrait qu’il soit comme Temple Grandin, qu’il devienne ingénieur lui-aussi, ou Rain man, que son handicap ne soit qu’une coquetterie face à ce qu’il aurait réussi. L’écriture en contrepoint est très réussie, la référence aux textes et à la vie de Temple Grandin permet se saisir la manière dont l’autisme porte un spectre plus large qu’on ne pense. Le talent documentaire à peindre la vie de Temple Grandin m’a complètement happée. Je me suis même procuré sa biographie.
Clara Dupont Monod choisit le point de vue diffracté et les récits parallèles de la fratrie autour de l’enfant différent. Pas de diagnostic. Un constat : il est inadapté. Euphémisme qui fait le titre comme une tentation de faire verbe ce qui n’a pas été possible. Elle décrit avec une rare sensibilité ce moment où tout bascule : une orange devant les yeux de l’enfant. L’enfant est aveugle. L’enfant est immobile. L’enfant est et n’est pas là.
Cette enfance qui s’absente d’elle-même arrache le ventre mais aucune des autrices n’a tracé le fil du pathos doloriste. Ce qui fait mal est juste là.
Pour écrire ces enfants qui ne parlent pas et ne lisent pas, Minh Tran Huy choisit l’écriture concise, précise, le style épuré et l’humour-pudeur de celle qui dit tout. Clara Dupont-Monod choisit l’angle du conte, l’absence de détails documentaires mais une saturation sensible, la distance du fabuleux romanesque va prendre soin des petits faits, des petites choses, boite à souvenirs d’enfance qui fait diversion aux mots crus. Les deux écrivaines disent des enfants en lien surnaturel avec le monde, et ce lien marque ceux qui les côtoient.
Elle s'adaptait, sous nos yeux, comme l'avaient fait son frère, ses parents et tant de gens avant eux, gagnant chaque fois notre admiration . Dira-t-on un jour l'agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ? S'adapter
Ces enfants-là sont des empreintes dans la vie de ceux qui les aiment, des empreintes qui transforment tout.
Cachez moi ces enfants que l’on ne saurait voir
De ces deux livres, on aperçoit deux talents différents. Minh Tran Huy porte un geste politique avec son geste d’écriture, qui est esquissé par Clara Dupond Monod : il sera question aussi de handicap et d’institution, de portes publiques fermées et d’inégalités sauvages autour du handicap. C’est bien l’argent qui viendra au secours de l’impossibilité éducative de parents aux prises avec leur propre travail, leur propre vie. Mal nés ou bien nés ? Bien obscène qui voudra répondre.
L’enfant décrit par Clara Dupont Monod est le frère mort à 10 ans. Une telle présence et il disparaît. Nul n’aura eu accès à sa conscience et c’est ce vertige qui saisit aussi dans le texte de Minh ; ces deux autrices ouvrent une fenêtre sur ce qui est clos et sera clos à jamais : l’intériorité de ces créatures humaines.
Il ne s'agit plus d'amener mon fils à parler et à rejoindre les enfants ordinaires: il n'est pas ordinaire et ne le sera jamais. Il n'existe pas, caché dans un recoin mystérieux de son être, de petit garçon au cerveau intact auquel une méthode, une approche, une procédure quelconque pourrait donner accès. Je peux bien consacrer tout ce qu'il me reste de forces, de temps et de foi à la recherche d'une clé, à quoi bon quand il n'y a pas de serrure ? Un Enfant sans histoire
Les deux livres se veulent consolateurs malgré le drame et la tragédie, force ou faiblesse, on voit peu les hontes et le dégoût de l’enfance qui échoue à être. Alors les deux femmes disent leur amour, Minh Tran Huy, explicite et lyrique, veut être entendue ; Clara Dupont Monod cherche le biais par les gestes, souffle et objets-symboles de l’enfant.
Ces deux livres lèvent des voiles – pudiques – mais des voiles quand même sur deux enfants qui ont leurs place en littérature. Ce qui m’a émue aussi, c’est cette tentative de survie absolue, chaque livre commence par une naissance et se termine sur une autre naissance : la vie est têtue n’est-ce pas ? Il faut bien aimer ces enfants, et leur vie aussi, c’est là toute la beauté de ces deux textes : la victoire de l’amour de la vie quand la vie n’a rien d’aimable.
dalie Farah