Gens de Cournon 1 – Cournonnaises

Cournonnaises- recueil de paroles et commande d'écriture

recueil et commande d’écriture

J’ai été contactée fin septembre 2021 par Claire Rouet (médiation/programmation de la Baie des Singes) pour reprendre un projet qui était en suspens. L’intitulé « Être femme dans mon quartier » proposait une approche sociale du recueil de paroles de femmes dans leurs difficultés à évoluer dans les lieux publics. Je me suis engagée à rendre un texte, pour un podcast d’une durée de 40 minutes, le 10 février 2022 et à rencontrer les femmes en trois fois : le 2 décembre 2021, les 6 et 20 janvier 2022.
C’est Malika Leulmi de l’association Eveils Solidaires qui a organisé les rencontres avec des membres de l’association, qu’elles soient bénéficiaires (ou anciennes bénéficiaires) ou bénévoles. Très vite, grâce à l’énergie et la réactivité de Malika, d’autres rencontres se sont « improvisées » dans la maison des citoyens où différentes activités ont lieu. Il y a eu notamment deux moments avec le cours de français de Cathie Souvay de l’association SAMA qui a bien voulu me recevoir.
Le public n’est pas celui qui avait été choisi lors de l’initiation du projet et le fait est que les femmes rencontrées m’ont plutôt apporté leur récit de vie qui possède des problématiques beaucoup plus urgentes et vitales que le fait « d’évoluer dans les espaces publics ». Les femmes qui contactent ou sont « captées » par le travail de Malika ou des autres bénévoles sont des femmes qui vivent des situations de précarité et d’exclusion importantes, avec des parcours de vie très difficiles.
Pour autant, j’ai essayé de les interroger de manière plus large, leur rapport à l’espace, au déplacement, aux activités, à la valeur qu’elle donne à leur place publique en lien avec celle qu’elles ont en privé.
J’ai, à dessein, mêlé les voix, les situations sociales pour interroger la question féminine d’abord dans ses urgences, ses interrogations profondes. Il est question d’émancipation, d’éducation en lien avec le cadre et les difficultés de vie, l’histoire intime et sociale de ces femmes. Il sera question d’échec et de réussite et des pistes de médiation à travers leurs vies et leurs mots.

John Doe
Designer

Les inégalités ne sont pas accidentelles, elles sont structurelles. Elles sont liées à une maladie de notre société, notre système économique fondé sur l’inégalité. De cette maladie, on s’agite à traiter les symptômes, on fait ce qu’on peut, éducateurs, professeurs, associations, militants, élus, journalistes etc…Beaucoup sont sincères et courageux à le faire, comme Malika Leulmi, comme toutes ces femmes impliquées dans une solidarité sorore infatigable. Je les ai écoutées, j’ai écrit. Sylvie Amblard, danseuse, chorégraphe et un peu comédienne, a travaillé avec celles qui voulaient bien participer à la mise en voix. Puis Pierre Larrat a fait le montage. Ce projet initié par la Baie des Singes dans le cadre  de la Politique de La Ville de Cournon, a été une vraie prise de conscience de mon rôle d’écrivaine publique. Ces femmes minuscules, invisibles sont grandes de leur existence lucide, elles ont peu et partagent ce peu, quand ceux qui ont beaucoup hurlent pour protéger leurs privilèges. Ecoutez-les, écoutez ces femmes de Cournon : Elles existent.

Extraits : 
4- Solitudes
- C'est dur depuis que ma fille est partie.
- Elle est partie quand ?
- Y a trois mois. Avant avec ma fille, je sortais.
- Elle est où ? Elle s'est mariée ?
- Non elle est coiffeuse à Cannes.
- C'est beau là-bas.
- C'est loin. Loin de moi.
- J’ai encore faim.
- Mange, prends un gâteau.
- J’ai pas faim de nourriture.
- Ah.
- Je suis allée voir ma fille à Cannes. 4 jours, j’ai vu la mer, les palmiers, son salon de coiffure, mais, elle, je ne l’ai pas assez vue. Il y avait mon frère et ses enfants, le temps de faire le voyage, la cuisine et le voyage, j’étais partie, je suis revenue à Cournon. Ma fille me manque déjà.
- Ma fille est venue aux vacances de Noël.
- Tu as de la chance.
- Elle est restée une semaine.
- Tu as de la chance.
- On a fêté Noël.
- Tu as de la chance.
- Elle était pas venue depuis 7 mois.
- Ma pauvre.
- Une semaine où elle a dormi chez moi.
- Quelle chance.
- Elle est allée voir toutes ses amies, tous ses copains.
- Oui, c’est normal.
- Elle a voulu une valise plus grande et elle est repartie hier. Elle est restée une semaine chez moi et je ne l’ai même pas vue.
- (silence)
- Mange, prends un gâteau.
- Je suis fille unique, mes parents n’avaient que moi à s’occuper, comme ils travaillaient toute la journée, j’avais une nourrice.
- J’ai deux frères, j’étais la quatrième et la plus petite, ma mère partait faire des meetings politiques, des réunions, des manifestations et me disaient : occupe-toi des hommes. Fallait que je m’occupe de mon père et de mes frères. Ma mère était féministe et tous les hommes de ma famille restaient sur le canapé.
- Des fois, je me demande s’il y aurait pas plus d’égalité en supprimant les canapés.
- Et la télécommande de la télé ?
- Et la télé ?
- Les fer à repasser.
- Les aspirateurs.
- Les repas.
- Les lits.
- Les serpillères ?
5 – Hasard 1
- J’ai l’impression d’avoir eu 20 vies. Je ne suis pas très bonne à écrire, je voudrais qu’on écrive des mots à ma place, je pleure, je mange les souvenirs, je n’arrive pas à les dire. Voilà, j’ai quarante ans, et on pourrait fêter mes cent ans. L’homme de ma vie a été un enfer. Qui m’a vue courir dans la nuit parce que j’ai peur qu’il me tue ?
5B- Hasard 2
- Y a pas de hasard
- Tu crois ?
- Oui, certaines choses sont écrites, d’autres t’attendent.
- J’aime bien partager des paroles.
- Discuter quoi.
- Non, partager des paroles, quand on raconte la réalité, on n’est pas seules.
- Surtout avec les activités.
- Non pas des activités.
- Quoi alors ?
- Des actions. Quand t’es une femme, que tu sors du silence, tu agis.