Compter « nos » morts.

Compter « nos » morts.

Compter « nos » morts.

Compter « nos » morts.

Sommes-nous condamnés à compter « nos » morts ?

Demande le silence balbutié de cette femme qui voudrait comprendre.

Encore ces jours où nous avons appris le meurtre d’un professeur de français, nous faisions les comptes.

Dominique Bernard a rejoint la cohorte de « nos » morts dans une stupeur déjà sinistre.

Nous voilà à revivre l’expérience de notre impuissance à travers l’impossibilité d’avoir protégé son corps. La mort semble surgir de mains inconnues et déterminées, de mains qui viennent saisir ce qui ne leur appartient pas, commettre l’irréparable dans le déni total de la valeur de la vie humaine.

Sommes-nous condamnés à compter « nos » morts ?

Le temps du deuil et du chagrin sont des nappes qui se recouvrent sans fin dans le cours de notre monde où la violence se mondialise dans la fureur des échanges politiques et commerciaux.

Nous comptons et n’avons plus le temps de compter.

Quand nous nous agenouillons pour les uns, d’autres sont assassinés, nous n’avons plus le temps de nous relever, voilà Israël, voilà la Palestine, voilà l’Ukraine, voilà la Syrie, voilà le Yemen…

A dire vrai, cela ne s’est jamais arrêté, l’humanité n’a plus de sang qui sèche depuis une éternité.

Sommes-nous condamnés à compter « nos » morts ?

Le fascisme religieux et politique produit une criminalité fondée sur la terreur, il vient forcer nos vies, notre quiétude relative, nos espoirs d’un monde dont la courbe pacifique devrait tendre vers le meilleur. Le fascisme religieux et politique protège et nourrit la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent.

La mort irréversible vient réclamer une compensation, le sang versé une expiation. Et c’est à ce moment que le fanatique réussit son opération.

Le fanatique tue toujours deux fois. Il assassine un corps et la bonté possible de l’humanité.

Sommes-nous condamnés à compter « nos » morts ?

C’est la question qui me fait taire et écrire depuis des années. A explorer la fabrique de la violence, à sonder les mécanismes qui mènent à la violence, à tenter d’apercevoir les racines de ce qui obsède ma vie.

Je me demande, cet homme qui tue, voulait-il être meilleur dans le pire que son frère en prison ; voulait-il être le fils prodigue dont le père pourrait porter avec fierté la rageuse transmission ? De quoi est fait leur désir de destruction ? Qu’est-ce qui crée l’élan vers le sacrifice assassin des innocents ?

Les questions sont suspendues en attente de la pensée qui ne peut venir pendant le chagrin.

Sommes-nous condamnés à compter « nos » morts ?

Dominique Bernard va manquer à sa famille, ses amis, ses collègues, ses élèves ; son absence ne pourra jamais être compensée.

Aux vivants, il reste le recueillement, il reste le désir de ne plus avoir à compter ses morts, il reste la mémoire des disparus.

La lettre d’Aurélie, une des collègues d’Arras évoque la plaisanterie matinale de Dominique Bernard aux fumeurs sur le perron : alors on se le fume ce petit clou de cercueil ?

Le sourire dans la tragédie figure combien Dominique Bernard comptait de son vivant.

Il comptait déjà, il a toujours compté, il doit continuer à compter.

Sa famille, ses amis, ses collègues, ses élèves le pleurent.

Nous le pleurons avec eux.

Paix à son âme.

dalie Farah