Petit Charles et Petit Emmanuel, l’impuissance de la puissance, violence et ridicule du pouvoir

Petit Charles et Petit Emmanuel, l’impuissance de la puissance, violence et ridicule du pouvoir

Petit Charles et Petit Emmanuel, l’impuissance de la puissance, violence et ridicule du pouvoir

L’impuissance de la puissance : violence et ridicule du pouvoir

Il est courant de répéter les mots de la Boétie sur le fameux colosse aux pieds d’argile. Il suffirait de briser les pieds du colosse et il s’effondrerait. Il suffirait de ne point obéir pour que le pouvoir ne commande plus.

"Vous vous affaiblissez afin qu’il [le maître] soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre." Étienne de La Boétie

 Le XXIème siècle voit se dresser des colosses aux petits pieds, des colosses qui tentent de revivre un XIXème siècle impérial, faste aux glorieuses dorures de la supériorité sur son prochain souvent le plus proche. A une semaine d’intervalle deux situations de pouvoir dévoilent le ridicule et la violence qui dissimulent une puissance faible et grotesque.

Et voilà le roi. Pauvre Charles, horrible Charles.

Pauvre petit bonhomme couronné et posé pour un Toy Story que Pixar va tourner. Pauvre petit bonhomme maigrichon écrasé de symboles qui ne sont pas à sa taille. Il est né, il a grandi, il a vieilli ; il est né dans le pouvoir, éduqué au pouvoir, soumis au pouvoir. Il a épousé ce qu’il n’a pas aimé, conçu des enfants avec celle qu’il ne désirait pas ; vu mourir celle qu’il avait délaissée pour une autre qui l’attendait.

Une royauté détermine le reste de la planète à s’agenouiller devant elle. Elle est colosse, non ? Nous devons être à ses pieds.

Et voilà le président. Pauvre Emmanuel, horrible Emmanuel.

Pauvre petit homme endimanché et trônant pour un Ubu Roi que Disney va tourner. Pauvre petit bonhomme minuscule écrasé par l’espace qu’il a vidé de tous les gens. Il a été élu sans être choisi, applaudi sans être aimé, élevé sans avoir eu le temps de grandir. Il a conquis tout l’escalier du pouvoir sans gravir une seule marche, on l’a déposé tout en haut. Une démocratie représentative se détermine par le soutien de ses représentés. Elle est un tout dont nous devrions faire partie. Elle n’est pas colosse, et n’a pas de pieds, elle est autant de voix qu’il y a d’électeurs. Pourtant, il faudrait être à ses pieds.

Petit Charles et petit Emmanuel n’aiment pas les gens.

 Ce n’est pas de leur faute, on ne leur a pas appris. Les gens sont les gens qui les servent, pas leurs amis, les gens sont les gens qui leur obéissent, par leur famille, ils n’ont connu des gens que leur obéissance, que leurs applaudissements quand ils se tiennent devant eux pour faire des discours. Leur manque d’amour  des gens les rend ridicules. Les rend misérables d’un pouvoir de marionnettes qui joue les marionnettistes. Les rend méchants.

La grande Histoire au secours du petit présent.

C’est cette distorsion qui apparaît aussi dans ces deux situations. Des Vikings du IXe siècle on trouva le roi Alfred le Grand, de la seconde guerre mondiale, on inventa le soldat inconnu. La commémoration du 8 mai porte à se souvenir et à rendre hommage, et elle est légitime quand elle vient rappeler que l’héroïsme est une escroquerie et que la guerre n’est qu’une défaite nécessaire à la paix. N’y a-t-il pas une guerre sous notre nez où des danseurs étoiles sont morts alors qu’ils devraient danser ? Paré des symboles d’un temps passé, les héritiers du présent se costument injustement du courage des morts inconnus passé et à venir, du courage de ceux qui n’ont pour héritage que l’absence d’histoire dans l’Histoire.

A l’un il y a eu la foule, à l’autre il y a eu l’absence. Pour l’un, il y a eu acclamations, pour l’autre applaudissements commandés. Couronnes trop grandes comme des casseroles sur la tête. D’une casserole ou d’un diadème, les voilà couronnés de ridicules à jamais.

La puissance de la casserole, la violence de l’impuissance

En France, imposer une réforme par les forces de l’ordre et la force légale devrait signer la puissance régalienne, elle en démontre la grande faiblesse. Il n’y a jamais eu autant d’arrestations arbitraires, de répression envers les journalistes, envers la parole qui s’oppose. La manifestation est une expression démocratique qui a droit de cité, elle a été décrétée hors-la-loi. Et il a suffi d’une casserole. Une seule casserole pour dire, on ne t’entend plus, pour dire le ridicule, pour faire taire l’apparat, pour démontrer cette impuissance de la puissance.

« Charivari qui pend à l’oreille de MM. Guizot, Dupin, Thiers et tutti quanti… », « La Caricature », 1er septembre 1831 – Jean-Jacques Grandville

Voilà deux enfants, deux vieux enfants dangereux.

Ils détiennent de quoi nuire au plus grand nombre. La royauté britannique est sans pouvoir mais elle n’est pas sans argent. En Angleterre, le nombre de SDF qui dorment dans la rue bondit de 26 % en février 2023. Et alors ? Quel rapport ? Je suis dans l’impossibilité biologique de considérer qu’un humain vaut plus qu’un autre. Je n’ai rien contre les couronnements en soi, rien contre la fable d’un pouvoir divin dès lors qu’il ne côtoie pas l’injustice contre le commun. Que peut le petit Charles face à la grande misère ? Abolir son pouvoir et aider à modifier les lois qui ne favorisent pas le bien commun. Ce n’est pas son projet.

La démocratie française s’énorgueillit d’une devise semblable au manteau d’hermine, symbole qui défend des valeurs qu’elle passe son temps à défaire. En France, une personne sur cinq vit dans la pauvreté. Et alors ? Quel rapport ? Je suis dans l’impossibilité biologique d’accepter que la protection des plus vulnérables ne soit pas le bien commun. Je n’ai rien contre l’orgueil des élus qui se pensent élus au-dessus des autres, rien contre la bêtise d’un costard qui se sent meilleur qu’une robe à pois dès lors que la politique d’un gouvernement s’astreint à lutter de toutes ses forces pour le bien commun. Que peut le petit Emmanuel face à cette obligation démocratique ? Abroger ses iniques réformes à la comptabilité fausse, recourir à la richesse commune pour ne plus appauvrir les pauvres, substituer l’émancipation à l’éducation, la joie à la soumission. Ce n’est pas son projet.

Est-il possible qu’un pouvoir soit juste ? Je me le demande. Le pouvoir n’est-il pas toujours un abus quand il se veut visible ?

Si ces hommes voulaient être grands, ils feraient tout pour que le code du travail de leur pays respectif soit modifié, tout pour que les créatures humaines qui ne sont pas moins dignes qu’eux puissent exercer leur vie dans une sécurité sociale légale. Je n’en reviens pas qu’en 2023, évoquer la justice sociale soit une revendication jugée comme violente, délirante, certains ignares disent même « terroriste» parce que l’égalité serait un terrorisme contre les privilèges qui seraient…naturels. On dit « misérabiliste », « gauchiste » « gnagnatruciste ».

Faisons donc la guerre à l’abbé Pierre car c’est la fondation Abbé Pierre qui invente la misère. C’est pôle emploi qui invente le chômage. C’est la météo qui invente le réchauffement climatique. Ô bêtise des conservateurs.

On me dira, tu mélanges tout. Non. Cet élan à la destruction et à la falsification du réel procède de la même force impuissante : le pouvoir qui se sert lui-même, qui se sert à se conserver.

De quoi petit Emmanuel et petit Charles sont-ils impuissants ?

De leur pouvoir. Ils portent des nippes élimées, ils se font colosse dans des portraits et des cérémonies officielles où leur solitude d’homme peut toucher mais où leur vanité irrite. De qui tiennent-ils leur pouvoir ? D’une société qui a besoin de maîtres, besoin d’obéir, besoin de s’humilier pour un jour mériter reconnaissance. La Boétie l’écrit : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous serez libres. » Il a raison pour partie, il y a de la servitude volontaire dans notre lassitude et nos obéissances.

Mais pas seulement, l’aliénation des corps, la fatigue des corps, la faiblesse des esprits et de l’esprit de révolte broient toute volonté. A genoux dans la difficulté, le malheur et la souffrance, les corps et les esprits ne se relèvent pas toujours. Malgré la résistance, les forces de l’ordre et leurs divers soldats font corps pour se protéger les uns les autres.

Petit Charles et petit Emmanuel sont drôles. Ridicules. Tristes et laids, ils sont effrayants.

Je ne veux pas écrire que les rois et les présidents sont coupables de tout. Non, ils se font complices, avec moi, avec vous, avec nous de désastres réversibles et d’autres irréversibles. Je regarde le couronnement et la commémoration comme deux moments européens convergents.

Pourtant, je ne suis pas pessimiste, ni optimiste d’ailleurs, je crois en la force de vie, je l’écris, je le vis, je le dis partout tout le temps. La vie n’est pas absolument victorieuse, nous sommes mortels ; mais la vie persiste, persistera dans le silence des petits hommes se croyant grands, dans le bruit des casseroles qui accueillera la démesure de leur impuissance. Il le faut.

Je crois aussi à la force du collectif formé de forces individuelles, je crois à l’imagination et aux artistes, je crois à la force de vie et de travail des anonymes, je crois à la transgression et à la désobéissance et surtout, je crois aux casseroles davantage qu’au pouvoir.

Dalie Farah

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